Les fondements de l’écologie spirituelle chez Rudolf Steiner

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Le terme « écologie » fut introduit en 1866 par le biologiste allemand Ernst Haeckel, grand représentant du darwinisme dans l’Allemagne de la fin du 19e. Dans son travail d’élaboration progressive d’une anthroposophie, Rudolf Steiner prit la défense de Haeckel face aux créationnistes. Steiner n’utilisa pas lui-même le terme d’écologie, mais ses propos sur les interactions entre l’être humain, la terre et le cosmos expriment une pensée écologique globale et cohérente. Dans cet article, Aurélie Choné, de l’Université de Strasbourg, présente les fondements d’une conception de la nature que l’on connaît aujourd’hui surtout à travers ses applications concrètes, notamment l’agriculture biodynamique. Elle y retrace les grandes sources d’inspiration – des sciences naturelles au « goethéanisme » en passant par l’alchimie – qui ont permis de poser les bases d’une « pensée écologique spirituelle » que l’on connaît aussi sous le nom d’« anthroposophie ».

Même si la situation écologique de la planète était moins préoccupante au début du 20e siècle qu’aujourd’hui, le fondateur de l’anthroposophie Rudolf Steiner (1861-1925) se souciait de l’avenir de la terre, qu’il percevait comme un être vivant en voie d’évolution et de vieillissement. Il était notamment inquiet de voir se développer certaines techniques dans l’agriculture, en particulier l’emploi de substances de synthèse chimiques. Mais bien avant son Cours aux agriculteurs donné en 1924, un an avant sa mort, Steiner s’est intéressé à la nature et a développé un lien très fort avec elle : enfant, il aimait observer les pierres et les plantes. Étudiant, il fit une rencontre déterminante pour lui avec un herboriste qui l’initia au mystère des plantes1 À Weimar, de 1890 à 1897, il a été chargé de l’édition des écrits naturalistes de Goethe. Fasciné par les sciences naturelles de son époque – notamment par la théorie de l’évolution, qu’il interprétait sur un plan spirituel2 – mais profondément insatisfait par leur approche, qu’il jugeait analytique et matérialiste, Steiner élabora une nouvelle théorie de la connaissance basée sur la méthode goethéenne ou « goethéanisme ». Un autre courant fondamental de l’ésotérisme occidental nourrit sa conception de la nature vivante : l’alchimie, en particulier le paracelsisme, qui repose sur une vision globale de l’être humain en tant que corps, âme et esprit, microcosme relié à la terre (macrocosme) et au cosmos entier. De la même manière que les plans matériel et spirituel sont intimement liés (et même identiques) chez Steiner, la théorie et la pratique le sont également, comme il ressort des multiples applications concrètes, dans la matière, des principes de sa pensée « écologique » : j’évoquerai quelques unes des conséquences pratiques de cette pensée dans les domaines de la médecine, de l’agriculture et de la pédagogie, ainsi que leurs enjeux éthiques.

Les sciences naturelles contemporaines

Rudolf Steiner n’a pas seulement étudié les travaux naturalistes de Goethe qu’il a édités. Il s’est aussi passionné pour les sciences naturelles de son époque et s’est notamment intéressé au biologiste Ernst Haeckel (1834-1919) qu’il a rencontré personnellement à Weimar en 1894, à l’occasion de son 60e anniversaire.

L’admiration de Rudolf Steiner pour Ernst Haeckel : théorie de l’évolution et pensée phylogénétique

L’ouvrage de Haeckel Generelle Morphologie der Organismen paraît en 1866 à Berlin. Cette publication sera suivie de nombreux autres travaux de synthèse sur différents domaines de la biologie, à la lumière de la théorie de l’évolution de Charles Darwin (1809-1882). Haeckel utilise pour la première fois le terme « écologie » : « Par écologie, nous entendons la totalité de la science étudiant les relations de l’organisme avec l’environnement ; cette science comprend, au sens large, toutes les conditions d’existence. »3 L’adaptation à l’environnement et la lutte pour la vie sont, selon le biologiste, au cœur de ses conditions d’existence : tout organisme tente de s’adapter au contexte dans lequel il évolue ; la sélection naturelle s’opère « en contexte ». Dans ses ouvrages ultérieurs, notamment dans Natürliche Schöpfungsgeschichte (1868) et Die Welträthsel (1899), Haeckel contribue à vulgariser et populariser le darwinisme.

ernst heackel
Ernst Heackel

Dans Anthropogenie (1874), le naturaliste applique à l’être humain les méthodes qu’il a développées dans Generelle Morphologie, notamment la « loi biogénétique » (aujourd’hui controversée) selon laquelle l’ontogénèse (évolution de l’individu) récapitule la phylogénèse (évolution de l’espèce à laquelle appartient l’individu), autrement dit selon laquelle un organisme ou un individu traverse durant son développement tous les stades des formes de vies ayant mené jusqu’à lui. Pour Rudolf Steiner, « (…) la pensée phylogénétique de Haeckel est le fait le plus significatif de la vie spirituelle allemande pendant cette deuxième moitié du 19e siècle. (…) Il n’existe pas de meilleure base scientifique pour l’occultisme que l’enseignement de Haeckel. »4 Pour comprendre l’admiration de Steiner pour Haeckel, il convient de se replacer dans le contexte de l’époque : les idées de Darwin étaient toujours fortement combattues en Allemagne comme en France, et si la sélection naturelle était admise comme moyen d’évolution, la doctrine de la descendance appliquée à l’homme trouvait encore d’ardentes oppositions. Steiner combat comme Haeckel le créationnisme, qui prétend que Dieu est le créateur de l’univers. Lui et Haeckel ont un adversaire commun : l’Église, qui a fait de la nature un adversaire et non un partenaire. Dans plusieurs écrits comme Conception du monde et de la vie au 19e siècle5 et Haeckel et ses adversaires6, Steiner s’efforce donc d’exposer à ses contemporains « la grandeur de l’idée de Haeckel sur la phylogénétique ».

Le rejet d’une approche intellectuelle et matérialiste du vivant, au nom d’une connaissance globale

Il convient cependant de nuancer rapidement l’admiration de Steiner pour Haeckel en poursuivant la citation précédente : « Cet enseignement est grandiose et Haeckel en est le plus mauvais commentateur. »7 Haeckel est en effet, selon Steiner, un « enfant » en matière de philosophie8 : « Si Haeckel avait, si peu que ce soit, étudié la philosophie (…), il aurait certainement extrait de ses mémorables études phylogénétiques les conclusions spiritualistes les plus élevées. »9 Or, son monisme évolutionniste est influencé par un courant apparu au milieu du 19e siècle, représenté notamment par le médecin suisse Carl Vogt (1817-1895), le physiologiste néerlandais Jakob Moleschott (1822-1893) et le naturaliste allemand Ludwig Büchner (1824-1899)10 : le « matérialisme scientifique »11. Selon Haeckel, matière et énergie sont les deux attributs inséparables d’une substance unique, qui explique la vie et la pensée au même titre que les phénomènes inorganiques. Dans cette perspective, la connaissance résulte du travail des cellules de notre cerveau, et les sciences de l’esprit sont un chapitre de la biologie. C’est tout l’inverse pour Steiner, qui juge la méthode d’investigation analytique des sciences naturelles inadaptée pour appréhender le vivant dans sa globalité ; les instruments de l’observation (microscope, télescope…) n’offrent selon lui qu’une vue parcellaire de l’objet étudié en le coupant de son environnement et en éliminant toute influence extérieure :

« (…) que fait la science aujourd’hui ? Elle prend une petite coupelle, y dépose une préparation, qu’elle isole soigneusement et y plonge le regard. On élimine toute influence extérieure, et c’est le travail au microscope ! Nous faisons exactement le contraire de ce qu’il faudrait faire en réalité pour comprendre les immensités lointaines. On ne se contente pas de s’isoler dans une pièce de laboratoire, mais en plus on s’enferme dans un instrument pour bien se mettre à l’abri de la magnificence du monde. (…). »12

Par ailleurs, en plaquant une grille conceptuelle sur le vivant, du type des classifications de Linné, la méthode scientifique réifie l’objet étudié et lui ôte toute vie. La production artistique de Haeckel, qui tente d’appréhender les plantes dans leurs formes, leurs couleurs et leurs mouvements, semble dans cette perspective approcher bien davantage l’énigme du vivant que sa démarche scientifique, bloquée par l’imposition de concepts rigides13.

Le vivant représente pour Steiner un seuil pour la connaissance « intellectuelle », une réelle « énigme » à l’époque de l’âme de conscience : l’homme moderne qui souhaite comprendre intellectuellement une plante et les lois qui président à sa formation, atteint les limites de la biologie moléculaire et de la génétique. Pour lui, il n’est possible de comprendre et de connaître le vivant que grâce à une pensée vivante, c’est-à-dire en se reliant aux forces éthériques modelantes, en se plongeant dans le monde du devenir d’où sont issues les formes vivantes. Pour ce faire, l’être humain doit développer de nouveaux organes ou instruments de perception capables de lui ouvrir les portes du monde suprasensible. C’est pourquoi Steiner propose une théorie de la connaissance alternative. Il propose d’aller plus loin que Darwin et Haeckel grâce à Goethe, de passer d’une science de la nature (Naturwissenschaft) à une science de l’esprit (Geisteswissenschaft) en prolongeant l’épistémologie goethéenne.

De la « Naturwissenschaft » à la « Geisteswissenschaft » : goethéanisme et anthroposophie

La phénoménologie de la nature goethéenne

Goethe
Johann Wolfgang von Goethe

Johann Wolfgang von Goethe (1749-1832) ne fut pas seulement l’un des plus éminents poètes allemands du 18e siècle. Il étudia également la physique, la minéralogie et la biologie. Dans le cadre de ses recherches en botanique, il examina la constitution et le développement des plantes annuelles. Cette étude fut la première publication scientifique majeure de Goethe. Elle parut en 1790 sous le titre Essai sur la métamorphose des plantes14 :

Ses conclusions firent grand bruit dans les milieux scientifiques de l’époque. Quoique maintes fois critiqué, l’ouvrage fut réédité plusieurs fois, traduit en plusieurs langues, puis intégré dans les manuels de botanique. Goethe reprit les recherches de Linné sur la notion de métamorphose pour décrire la modification de la forme dans la nature. Il s’intéressa à l’évolution des différentes formes de feuilles qui poussent de manière successive et différenciée. Ses descriptions détaillées des organes et de leur transformation, fondées sur des exemples pertinents, constituaient une nouveauté pour la botanique de l’époque ; et son idée d’un lien de parenté entre les types de feuilles en vertu d’un plan d’organisation commun reste encore valable de nos jours.15

L’approche goethéenne de la nature peut être qualifiée de « phénoménologique » en ce qu’elle repose sur une observation attentive de la nature et sur une méthode adaptée à l’objet étudié. Au lieu d’appliquer à une roche, une plante ou un animal la même méthode d’étude, au lieu de les isoler et de plaquer sur eux une grille de lecture abstraite et artificielle, Goethe cherche, par une observation très fine des phénomènes dans leur contexte, à tirer la méthode de l’observation de l’objet examiné lui-même. Au lieu de projeter des modèles tout prêts – en considérant par exemple une feuille de plante comme un simple capteur solaire, ce qui la réduirait à une simple machine – il s’agit d’appréhender la feuille dans sa globalité, sa forme, sa couleur, son parfum, son environnement, etc., en intensifiant ses différentes perceptions sensorielles. Attention, absence de jugement, détachement, attitude d’ouverture et d’étonnement, sont les préalables indispensables à cette approche qualitative : « Ce ne sont pas les sens qui nous trompent – écrit Goethe – mais le jugement. »16 C’est pourquoi « le botaniste doit s’abstenir de tout jugement en étudiant une plante, il doit examiner ce qui est et pas ce qui plaît ; il doit adapter les critères pour un jugement porté, non par rapport à lui-même, mais en fonction de l’objet examiné. »17

Par ailleurs, la phénoménologie de la nature goethéenne est une philosophie de la vie qui considère que le vivant est toujours en mouvement, dans un processus d’« intensification » (Steigerung) conduisant les formes à manifester toujours mieux l’idée première qui leur est sous-jacente. Il est impossible de comprendre la vie à partir de l’interaction de ses éléments morts en un instant t. La plante n’est pas entièrement présente en un instant donné mais se manifeste au contraire au cours du temps, dans un processus de progression ascendante au cours duquel elle tend peu à peu à incarner l’idée dont elle est une des manifestations. Ainsi, pour observer la totalité d’une plante, il faut la regarder à un moment donné dans son milieu et, d’autre part, la regarder dans le temps, de la graine qui germe à la prochaine graine qu’elle formera.

Le concept de Urpflanze ou « plante primordiale » développé par Goethe signifie que le même principe formateur invisible agit dans chaque espèce végétale en se spécialisant dans une direction particulière. Dans son Essai sur la métamorphose des plantes, il décrit la feuille et son nœud originel, l’organe fondamental de la plante, qui se transforme par degrés, de la graine jusqu’au fruit, pour revenir au germe initial, à travers une double polarité – l’une caractérisée par la succession des phases de contraction et d’expansion, l’autre par la division en deux sexes (pistil et étamines) et leur réunion dans la fécondation – et une triple métamorphose : dans les feuilles, dans la fleur puis dans le fruit – sachant que l’objectif ultime, la « destinée », le sens de ces métamorphoses – à savoir « die höhere Welt », selon la fin du poème de Goethe – représente une finalité interne et non externe à la nature. Notons que le modèle goethéen, qui repose sur la polarité entre un type idéel et ses manifestations dans des formes sensibles, témoigne de l’équilibre entre classicisme (à travers l’importance donnée au monde idéel) et philosophie de la nature romantique (avec sa conception des cycles de la vie, des polarités, de l’action de l’amour, des correspondances entre microcosme et macrocosme…).

« Poursuivre Goethe » grâce à la Science de l’esprit

Pour accéder à cette plante primordiale, à cet archétype de la plante dont sont issues toutes les formes végétales, pour comprendre les principes formateurs de toutes les plantes, il est nécessaire selon Steiner de pénétrer dans un domaine qui ne relève pas du monde sensible. Afin d’accéder à une autre forme de connaissance et à une véritable compréhension du langage de la nature, il convient de développer des organes permettant de percevoir l’idée suprasensible de la plante à partir de ses différentes formes sensibles. L’ouverture de ces « sens supérieurs » n’est possible selon Steiner qu’avec l’aide de la science de l’esprit et grâce à un chemin de connaissance passant par un total oubli de soi : « Il faut laisser les choses et les événements s’exprimer par eux-mêmes, plutôt que de s’exprimer à leur sujet. Il faut aussi étendre cela au domaine des pensées. (…) Grâce à cette pratique on se rend réceptif à son environnement. »18 Il s’agit de comprendre la plante à partir d’elle-même, de plonger en elle par la méditation pour la comprendre de l’intérieur. Cette approche « objective » (car centrée sur l’objet) se double d’une activité imaginative qui permet de saisir l’activité formatrice de la plante, sa « morphologie spirituelle » : « Nous devons développer, à partir de la forme primordiale, chaque cas particulier qui se présente à nous. »19 – écrit Steiner dans sa Théorie de la connaissance chez Goethe. Le typus représente le principe suprasensible immanent qui manque aux théories de l’évolutionnisme matérialiste pour expliquer la différenciation des formes organiques. Steiner est convaincu que « la théorie de Darwin présuppose le type (…). Tel un fil rouge, le type passe par toutes les étapes évolutives du monde organique. C’est lui que nous devons tenir pour parcourir, avec lui, ce grand domaine si riche en formes diverses. »20

L’activité imaginative permet de suivre ce fil rouge et de prendre part à la façon dont les principes formateurs de chaque espèce émanent de la plante primordiale, c’est-à-dire de percevoir sa morphologie spirituelle : pénétrer à l’intérieur de la feuille, observer, noter, accueillir avec dévotion la plante en soi, percevoir intérieurement par une pensée vivante les forces de vie qui ont donné naissance à la forme de la plante – tout cela permet de participer intérieurement au processus de croissance pour essayer ensuite de le « recréer » en imagination.

Steiner juge nécessaire d’approfondir notre perception de la nature grâce à une pratique méditative ; il propose par exemple l’exercice de méditation suivant : observer les étapes de la croissance, de la germination et du flétrissement d’une espèce végétale. L’expérience du fleurissement est selon lui comparable au lever du soleil, et celle du dépérissement à la lente montée de la lune. Il propose aussi de développer un sens affiné du changement des saisons : « être capable de germer avec la plante, de fleurir et de fructifier avec elle. (…) celui qui aura su vivre en symbiose avec la nature au printemps apprendra aussi à mourir avec elle à l’automne. »21 Selon Steiner, cette participation à la mort de la nature éveillera en l’homme la conscience de soi, un « germe spirituel-psychique », une « force de la vie intérieure »22 qui le rendra véritablement libre.

La pensée vivante, créatrice, qui est en jeu ici permet selon Steiner de surmonter, à l’aide des forces modelantes du corps éthérique, l’approche conceptuelle délétère qui caractérise le mode de connaissance de l’homme moderne : ce n’est qu’en accédant au monde suprasensible que celui-ci peut devenir véritablement créateur. L’enjeu épistémologique est de dépasser une connaissance intellectuelle figeant et réifiant le vivant au profit d’une conscience imaginative, seule capable de réunir activement les manifestations phénoménale et idéelle, pour obtenir leur identité.

Tradition alchimique et nature vivante : les interactions entre l’homme, la terre et le cosmos

Ainsi, Steiner critique la méthode d’investigation des sciences naturelles de son époque au nom d’une connaissance globale. Il est impossible pour lui d’étudier une plante de manière isolée, en l’arrachant à son environnement ; il faut considérer le sol dans lequel elle pousse et l’univers entier qui l’entoure. Montrons à présent en quoi consiste cette connaissance globale et en quoi elle se rattache à un courant particulier de l’ésotérisme occidental, le paracelsisme.

« La nature est un tout »

Selon Steiner, « la nature est un tout, les forces agissent de tous côtés, et celui dont l’esprit est capable de s’ouvrir à la manifestation de ces forces, celui-là comprend la nature. (…) le jour où nous parviendrons à retrouver le chemin vers le macrocosme, nous arriverons à nouveau à comprendre la nature et bien d’autres choses encore. »23 Selon Steiner, le médecin, alchimiste et astrologue Paracelse (1493-1541) est justement ce génie qui a cherché à appréhender les mystères du cosmos tout en approfondissant ceux de la terre et de l’homme24. Il a notamment montré que dans la nature, il n’existe rien qui ne ferait que prendre sans donner en retour car « la nature est une et son origine est une. Un vaste organisme dans lequel les choses naturelles s’harmonisent et sympathisent réciproquement. Le macrocosme et le microcosme ne font qu’un. »25 La conception de la nature de Steiner doit beaucoup au paracelsisme et se distingue d’une interprétation spencérienne de Darwin en ce que l’interdépendance entre tous les êtres vivants est pour lui l’effet d’une autorégulation générale et non d’un principe égoïste de sélection naturelle lié à la lutte pour la vie (struggle for life)26. À titre d’exemple, les abeilles, les guêpes et les fourmis ne sont pas seulement des pillardes pour les fleurs, elles leur offrent en même temps la possibilité de mener leur propre existence. L’abeille vivifie toute la fleur grâce à son affinité avec elle. La ruche est pour Steiner l’exemple parfait d’une globalité où s’accordent le donner et le prendre. « Ainsi les poisons qui provoquent une inflammation sont en même temps, continuellement, des remèdes contre le dépérissement. »27 – nous dit Steiner. « Selon cette conception – résume Matthiew Bardon – chacun est au service de chacun. Le microcosme de chaque être est comme une cellule parmi beaucoup d’autres, dans un organisme commun. »28

La terre est un être vivant

Steiner anticipe ici l’« hypothèse Gaïa » de James Lovelock29 en affirmant que la terre n’est pas seulement « matière », mais un être vivant, intelligent, en mouvement, qui respire, veille et sommeille. Cet organisme est composé de quatre règnes (minéral, végétal, animal et humain), de quatre éléments30 emplis eux-mêmes d’êtres vivants, les élémentaux31 ; il est animé de polarités et de rythmes précis32. Il est également pourvu de fluides et d’organes. Steiner compare l’eau au « sang de la terre »33. Les sources seraient ses yeux tandis qu’elle possèderait ses entrailles dans la mer. Steiner reprend la métaphore bien connue de l’organisme34 en comparant par exemple les plantes aux cheveux de la terre, aux organes sensoriels, langue, nez, yeux de la terre, voire à l’âme de la terre : « Nous scrutons pour ainsi dire, de la même façon que nous regardons un autre être humain dans les yeux, la terre jusque dans son âme, dès lors que nous comprenons qu’elle nous livre cette âme à travers les fleurs et le feuillage du monde végétal »35. Le règne végétal revêt une importance fondamentale pour Steiner36. Il est intimement lié au cosmos : « le ciel entier avec toutes les étoiles participent à la croissance de la plante ! ».37 Enfin, à travers différents exemples issus du règne animal, notamment de la vie des insectes, Steiner a recours à la notion d’intelligence de la terre car l’idée d’instinct ne lui semble rien expliquer du tout. En prêtant à la nature une « intelligence » de l’équilibre, supérieure à l’intelligence humaine, dont la finalité serait morale, à savoir assurer le triomphe du vivant, Steiner semble anticiper une idée centrale du fondateur de l’écologie profonde, Arne Naess.

L’homme est un être global

Pour Steiner comme pour Paracelse, l’être humain est un microcosme : il porte en lui le monde, toute la nature, tous les règnes. Il n’a pas seulement une enveloppe matérielle, mais également un corps éthérique et une dimension spirituelle. Steiner porte un autre regard sur les organes ; par exemple, le cœur a selon lui été entièrement formé par les courants sanguins : « Il en va de même pour les autres organes. Ils sont bien davantage le résultat de l’effet des courants circulatoires que leur cause. (…) On peut imaginer une rivière sautant un rocher, qui produit toutes sortes de figures, puis poursuit son cours. »38 La matière apparaît dans cette perspective comme du fluide consolidé. Les interactions et les concordances entre microcosme et macrocosme sont au cœur de cette pensée holistique : « L’homme, en tant qu’être physique, n’est pas une réalité en soi isolée, il est un être physique uni à toute la terre. »39  Les rythmes de la terre sont à mettre en relation avec nos propres rythmes, qui s’intègrent dans le rythme annuel : « Les processus rythmiques qui se déroulent dans notre propre organisme nous mettent dans un certain rapport avec l’environnement. »40

Soulignons enfin le rôle particulier que l’être humain a à jouer vis-à-vis de la nature, à savoir le rôle de l’alchimiste qui « libère » une parcelle de nature, qui « parfait » la nature. Si l’homme réussissait à « conduire à son terme ce qui n’y est point parvenu »41, alors l’univers jubilerait d’avoir atteint son but, pour reprendre les mots de Goethe cités par Steiner :

« Lorsque la saine nature de l’homme agit comme un tout, qu’il se ressent dans le monde comme dans un grand tout, beau, digne, que le bien être harmonieux lui offre un ravissement pur et libre : alors l’univers, s’il pouvait se ressentir lui-même, jubilerait d’avoir atteint son but et d’admirer le sommet de son propre devenir et de son propre être. »42

À la fin de cette partie sur les fondements théoriques de l’écologie spirituelle de Steiner, j’aimerais brièvement évoquer la question de la Naturphilosophie romantique. Bien que Steiner ne cite que rarement les Naturphilosophen43, on ne saurait déduire de ce silence relatif l’absence d’influence de ce courant philosophique sur le fondateur de l’anthroposophie. On trouve chez lui comme chez la plupart des Naturphilosophen une critique romantique de la domination humaine sur la nature et une grande admiration pour Paracelse et pour Böhme – que Steiner « classe » d’ailleurs parmi les mystiques dans son ouvrage Die Mystik am Anfang unserer Zeit, au sens où il s’agit sans doute pour lui d’une « mystique de la nature »44. Pourtant, la Naturphilosophie romantique ne me semble pas faire partie des fondements de l’écologie spirituelle steinerienne. Steiner s’intéresse davantage aux applications pratiques, dans la continuité du courant occultiste, qu’aux spéculations métaphysiques des théoriciens que sont les Naturphilosophen. Goethe a beaucoup plus intéressé Steiner pour sa théorie de la connaissance que pour ses liens à la Naturphilosophie romantique, qu’il a d’ailleurs critiquée. Et Schelling a fait l’objet d’une réception plutôt marginale chez Steiner. Le fondateur de l’anthroposophie critique le philosophe idéaliste pour avoir « cherché l’esprit dans la nature par la contemplation intellectuelle »45. Ce n’est qu’en 1916 que Steiner s’exprime plus positivement sur Schelling, le considérant comme un adepte de Böhme, comme un respectable représentant allemand de la tradition ésotérique occidentale. La Naturphilosophie devient alors pour Steiner « un courant oublié de la vie spirituelle allemande »46. Selon l’historien Helmut Zander, il n’existe, « historiquement, aucun chemin menant de Schelling à Steiner »47. La réception de la Naturphilosophie romantique a lieu d’après lui dans un contexte particulier, celui de la Grande Guerre et des années 1920, et constitue un « élément de la nationalisation de la théosophie de Steiner »48.

Conséquences pratiques et éthiques

Abordons à présent les conséquences pratiques et éthiques de la connaissance suprasensible de la nature évoquée ci-dessus, dans quelques domaines comme la médecine, l’agriculture et la pédagogie. C’est surtout après la Grande Guerre que Steiner se tourne vers ces applications concrètes, en intégrant les impulsions des Lebensreformer qui viennent gonfler les effectifs de la Société anthroposophique créée à Berlin en 1913. Il existe sans aucun doute des connexions entre l’anthroposophie et les expérimentations sociales (écologiques notamment) de la Lebensreform49. Au début du 20e siècle, certains lieux sont devenus des centres de la Lebensreform : Friedrichshagen, Worpswede, Hellerau, Darmstadt, le Monte Verità près d’Ascona… Martin Green50 qualifie l’esprit d’Ascona de « croyance en l’avènement d’un homme nouveau vivant en harmonie avec la nature, culte païen du corps, renouveau spirituel contre l’individualisme libéral et l’individualisme possessif dégénératifs. »51 Les domaines de la vie devant faire l’objet d’une réforme sont divers, de l’alimentation (végétarisme, produits issus de l’agriculture biologique…) à l’habillement (port de vêtements amples, en coton et en laine…) en passant par la pédagogie, la médecine (médecines naturelles…), la religion (recherche d’alternatives aux religions institutionnelles), l’organisation sociale, les pratiques corporelles, etc. Les liens entre écologie et Lebensreform apparaissent clairement dans l’ouvrage Ökologie und Lebensreform (1908) du philosophe Theodor Lessing (1872-1933), un ami d’enfance de Ludwig Klages qui a fondé la première association allemande anti-bruit en 1908. De nombreux théosophes et anthroposophes allemands sont issus de cette nébuleuse qu’est à l’époque la Lebensreform. Ils se réunissent dans des restaurants végétariens, évitent de manger de la viande et de consommer de l’alcool, portent des vêtements en coton brut et pratiquent l’eurythmie. Certains accomplissent également différents rituels au sein de la Communauté des chrétiens (fondée en 1922) et célèbrent en particulier quatre temps forts de l’année aux solstices et équinoxes : Noël, Pâques, Saint-Jean, Saint-Michel – ces quatre fêtes chrétiennes étant profondément liées à la respiration de la terre52. De même, les prières, qu’il s’agisse des prières d’ouverture de table remerciant la nature, notamment les plantes, pour ce qu’elles nous apportent, des prières à dire aux enfants ou par les enfants, et les textes méditatifs comme le Calendrier de l’âme, soulignent fortement les liens étroits unissant l’homme à la nature, aux éléments et aux saisons notamment.

Pourtant, avant la Grande Guerre, la spécificité de l’anthroposophie l’éloigne quelque peu des mouvements proches de la Lebensreform ; cet isolement relatif s’explique sans doute en partie par la personnalité charismatique de Steiner, mais elle tient surtout au fait que Steiner cherche à pratiquer une méthode d’investigation « scientifique » dans sa recherche spirituelle et souhaite asseoir la scientificité de sa Geisteswissenschaft ; il refuse de ce fait d’être assimilé aux fantaisies non scientifiques à ses yeux de certains groupes, comme le cercle Sera de Eugen Diederichs53 par exemple. Son puritanisme l’éloigne en outre des artistes dansant nus sous les étoiles et autres naturistes. Le théosophe allemand se veut le garant d’une recherche scientifique sérieuse, et va rompre vers 1911-1912 avec Annie Besant et le mouvement théosophique en raison d’un différend sur Krishnamurti54. Steiner, qui donne une conférence en 1911 à Locarno, fera un bref passage au Monte Verità pour assister à une soirée musicale organisée par Ida Hofmann55, mais il ne recherchera pas vraiment le contact avec les monteveridiens, sans doute trop proches à son goût des théosophes d’Adyar. Enfin, le fondateur de l’anthroposophie part de prémisses différentes de celles de personnalités en vue au sein de la Lebensreform, qu’il s’agisse des prémisses chrétiennes du pasteur bavarois Sebastian Kneipp (1821-1897) qui a mis au point des thérapies aquatiques et des bains de pieds toujours populaires dans les pays germanophones aujourd’hui56, que des prémisses anti-chrétiennes de Ludwig Klages, dont l’ouvrage Mensch und Erde (1913) est une référence au Monte Verità57. Contrairement au pessimisme fondamental de Klages, Steiner croit au progrès spirituel et à la liberté individuelle. Sa pensée se rattache à un christianisme ésotérique qui consiste à libérer la nature des douleurs de l’enfantement58 en la rendant plus parfaite.

Médecine et pharmacologie anthroposophiques

La médecine anthroposophique, qui se développe à partir de 1920, se situe dans la tradition de l’homéopathie, de la médecine naturelle (Naturheilkunde) et de l’alchimie. Le médecin se doit d’approcher son patient dans sa globalité, en lien avec son environnement, son état psychique et son corps subtil : « De même que vous ne pouvez pas bien étudier une main séparée de l’organisme entier, il en est de même pour la rose qui, une fois cueillie, meurt. Elle n’est pensable qu’en lien avec tout le rosier enraciné dans la terre. Et il en est de même pour l’homme : si on veut l’étudier dans sa totalité, on ne peut pas se contenter de l’observer dans les limites de sa peau. »59 À l’instar de Paracelse, le médecin anthroposophe doit, pour soigner un organe malade, tenir compte du corps éthérique et de ses différents « fluides ». En effet, les organes proviennent de ce corps éthérique ; quand le foie est malade par exemple, cette maladie n’est que la manifestation physique d’un problème qui a sa racine dans le corps éthérique60.

urpflanze Goethe
Gravure sur bois de Pierre Jean François Turpin d’après des idées de Johann Wolfgang von Goethe

Ensuite, il s’agit de trouver par l’activité imaginative des concordances, des correspondances61 entre microcosme et macrocosme afin de découvrir les vertus thérapeutiques des plantes pour un organe précis. En développant à partir de la forme primordiale de la Urpflanze chaque espèce végétale particulière, il est possible de comprendre la nature spécifique de la plante et ses particularités, pour les mettre ensuite en relation avec l’être humain afin de connaître ses vertus médicinales : « Nous n’avons pas affaire à l’intentionnalité d’un sujet qui chercherait à s’abstraire d’abord du monde, à détourner son esprit de l’univers sensible pour créer ensuite des images inédites à l’intérieur de lui-même. Ce qui se donne à voir est plutôt un désir de “correspondre” concrètement à, et dans, la plénitude du monde, de l’homme et des choses, en un réseau de relations vivantes et intersubjectives, d’où l’aspect incarnationiste de cette tradition (…). »62 L’idée de correspondance est centrale pour Paracelse (et pour Böhme) comme dans la médecine anthroposophique. La théorie de la signature, répandue en Europe, de l’Antiquité jusqu’au 18e siècle, selon laquelle la forme et l’aspect des plantes est à rapprocher de leurs propriétés thérapeutiques, a été reprise durant la renaissance par Paracelse, puis par Steiner. En observant attentivement une plante, il serait possible d’y lire l’indication de ce qu’elle soigne. Steiner se réfère également à Paracelse en matière d’homéopathie. Pour la préparation des médicaments, Paracelse cherche en effet le principe actif, la « quintessence d’une plante » étant « si efficace qu’une demi-once opère plus que cent de la plante en son état naturel. »

Agriculture biodynamique

L’exploitation agricole fonctionne selon Steiner comme un organisme vivant dont les organes – le sol, l’eau, les terres agricoles, les plantes cultivées, les animaux, le paysan lui-même – interagissent harmonieusement. Il s’agit notamment de trouver un subtil équilibre « entre forêt, eau, terres agricoles, animaux : la juste répartition entre forêts et vergers, buissons et zones humides, confère au paysage agricole de bonnes prémices qui profiteront davantage à l’agriculture, même s’il faut réduire quelque peu les surfaces cultivables. »63 Cette juste répartition passe par la régulation des zones boisées et la présence, au voisinage d’une ferme, d’une zone humide riche en champignons, capable de fixer les bactéries et autres parasites.

La connaissance de l’équilibre et de l’interdépendance des êtres vivants, ainsi que de la loi du donner et du prendre, devrait inciter l’homme à arrêter de détériorer son environnement à force de s’immiscer dans le domaine des forces naturelles, et surtout à cesser d’exploiter à outrance la nature, à cesser de seulement prendre, c’est-à-dire de piller. Dans les années 1920, Steiner s’inquiète de la dégénérescence rapide des produits dont l’homme se nourrit pour vivre et pense que si rien n’est fait, ils ne pourront bientôt plus servir à nourrir l’homme convenablement64. Des produits ayant belle allure qui remplissent l’estomac ne suffisent pas, ils doivent être d’une qualité telle qu’ils puissent « soutenir organiquement la vitalité intérieure de l’être humain ». Steiner met en garde contre les dangers d’une méthode agricole industrialisée, purement économique, visant le rendement et le profit, et contre l’utilisation d’engrais chimiques, les ammonitrates issus de la synthèse à partir de l’azote atmosphérique (par le procédé Haber Bosch). Il souhaite indiquer, à partir de sa recherche spirituelle, les moyens de remédier à la baisse de vitalité et au durcissement des sols, responsables de la dégradation de la qualité des aliments. Dans un cycle de huit conférences tenu en 1924, dans un grand domaine agricole de Silésie orientale, devant un public d’agriculteurs, de vétérinaires et de scientifiques, il fournit les bases de la méthode biodynamique. Ce Cours aux agriculteurs, qui a été imprimé dès 1925, tout d’abord pour un cercle interne puis pour tous, aborde notamment la question cruciale des pesticides, la manière d’éradiquer les parasites de manière naturelle et l’essence du compostage. Afin de stimuler la vie du sol sans l’appauvrir, l’engrais devrait être vivant et non mort : Steiner propose d’utiliser le fumier animal, un matériau végétal chargé de forces éthériques et astrales, et d’accroître son efficacité par des préparations biodynamiques.

Pédagogie et écologie

Il est capital pour Steiner d’éveiller très tôt chez l’enfant un intérêt pour la terre considérée comme un organisme vivant avec lequel il se sente lié, pour ancrer, chez le futur adulte, une conscience environnementale qui lui permettra d’agir plus fermement à la préservation de la nature. Il s’agit, concrètement, d’enseigner la botanique non pas en observant un pistil au microscope, mais en faisant comprendre à l’enfant que le sol et la plante vont ensemble, en lui apprenant à regarder la terre comme un organisme et les plantes comme les « cheveux de cet organisme » : « Ainsi l’enfant a d’emblée le sentiment de se tenir sur un sol vivant comme sur un grand organisme, par exemple sur une baleine : Voilà un sentiment juste, qui conduit au ressenti humain de tout l’univers. »65 Steiner part du principe que si l’on présente en détail et de manière concrète aux enfants comment la plante enfonce réellement ses racines dans la terre, et si l’on place de manière juste l’animal à côté de l’homme, alors le futur adulte se tiendra correctement debout et se confrontera convenablement au monde. À titre d’exemple, au programme de la 4e classe (CM1), les élèves étudient la zoologie et abordent la physiologie de différents animaux, comme le lion, la vache et l’aigle, telle qu’elle est présentée par Steiner par exemple dans son Cours aux agriculteurs. En mettant en relation l’aigle avec la tête de l’homme, la vache avec son système métabolique (les membres) et le lion avec son système rythmique (cœur, poumons), l’enseignant cherche à sensibiliser les élèves à la vision anthroposophique de l’homme comme être tripartite possédant en lui, à l’état latent, les différents règnes animaux.

Les conséquences éthiques d’une telle conception de la nature sont pour lui évidentes. La terre étant un être vivant, et sachant qu’elle est notre mère nourricière, comment ne pas la respecter ? Mentionnons seulement, ici, le respect du règne animal. L’homme portant en lui tous les règnes, y compris le règne animal, qu’il a dépassé en ce que pour lui, chaque souffrance est une occasion de se dépasser66, il est fondamental d’établir avec le règne animal une relation respectueuse et dénuée du seul désir de l’exploiter. Cela exclut bien sûr l’élevage en batterie des animaux.

Conclusion

On trouve indéniablement chez Steiner les prémisses d’une pensée écologique ; même si la « catastrophe écologique » n’est pas considérée comme imminente dans les années 1920, la situation est considérée comme préoccupante et le fondateur de l’anthroposophie juge nécessaire de situer la réponse à ces problèmes dans le contexte d’une évolution des valeurs, en se détournant des valeurs matérialistes.

Steiner, précurseur de l’écologie profonde ?

Même si Rudolf Steiner n’a pas utilisé le terme « écologie » – concept forgé en 1866 par Ernst Haeckel, comme on l’a vu – ses propos sur l’homme, la terre et le cosmos, expriment une pensée cohérente sur les interactions entre l’être humain et son environnement. Cette pensée repose sur trois piliers fondamentaux : les sciences naturelles, le « goethéanisme » et l’alchimie. Elle considère l’humanité comme étant partie intégrante du cosmos (ou, en termes actuels, de l’écosystème planétaire) et développe une véritable éthique environnementale. En ceci, Steiner semble être un précurseur de l’écologie profonde : loin de poser la satisfaction des besoins humains comme finalité et d’attribuer au reste du vivant le statut de « ressource », il réinscrit les finalités humaines dans une perspective plus large, celle du vivant dans son ensemble. D’aucuns contesteront certainement à Steiner ce statut de précurseur de l’écologie profonde du fait que l’anthroposophie est, comme son nom le suggère, une pensée anthropocentrique visant la constitution progressive de l’homme-esprit et attribuant à l’homme une responsabilité particulière au sein du cosmos du fait qu’il est le seul être vivant capable d’utiliser sa souffrance pour évoluer. Au contraire, l’écologie profonde est une pensée biocentrique, centrée sur le vivant, pour laquelle la nature a une valeur indépendamment de l’homme. La finalité est-elle donc l’homme ou le vivant ?

Cette question me semble perdre quelque peu son sens si l’on pense à la correspondance entre macrocosme et microcosme ainsi formulée dans la Table d’émeraude (Tabula Smaragdina) : « Ce qui est en bas est comme ce qui est en haut, et ce qui est en haut est comme ce qui est en bas ». Dans la pensée de Steiner, l’homme est en effet uni au macrocosme et à tout le vivant par la loi du donner et du prendre. L’évolution de l’être humain vers l’homme-esprit, sa spiritualisation progressive, implique la recréation par l’homme du rythme cosmique de manière consciente alors qu’il était vécu auparavant, de manière inconsciente, par un rythme extérieur à lui-même. L’homme devient ainsi véritablement créateur et une harmonie s’établit entre le rythme de l’homme et le rythme cosmique, au sein du vivant dans son ensemble : l’un ne prévaut pas sur l’autre. En ce sens, on peut dire que la véritable écologie commence par une pratique respiratoire consciente de ce que j’inspire et de ce que j’expire (pranayama dans la tradition indienne du yoga) et consciente du centre à partir duquel s’effectue cette respiration, qui peu à peu, par la pratique de la méditation, se rapproche et fusionne avec le centre de l’univers. Au cœur de cet exercice de respiration, se trouve la loi du donner et du prendre entre l’homme et le cosmos : l’homme reçoit l’air du cosmos, et lui rend l’air reçu.

Steiner, précurseur de l’écologie spirituelle

Steiner apparaît aussi et surtout comme un précurseur de l’« écologie spirituelle » – une notion de plus en plus utilisée actuellement67 – qui signifie chez le fondateur de l’anthroposophie d’une part que la nature qui nous entoure (et nous constitue), des étoiles du firmament à la matière organique sous nos pieds, est d’essence spirituelle (de l’esprit condensé), et d’autre part que le seul remède à la situation écologique planétaire préoccupante du début du 20e siècle – devenue catastrophique aujourd’hui, un siècle plus tard – est de développer un autre mode de connaissance permettant à l’être humain de « poursuivre l’évolution » en se dégageant d’une pensée abstraite, technicienne, pour atteindre une nouvelle conscience lui permettant de penser et de guérir le vivant par le vivant, de comprendre de manière concrète qu’il fait partie intégrante de la nature et que cette nature est de l’esprit consolidé, incarné dans la matière. Le développement de cette nouvelle conscience nécessite selon Steiner un travail intérieur. De la même manière que pollution psychique ou mentale et pollution de l’environnement vont de pair, méditation et médication, travail sur soi et guérison de la nature vont de concert. Et même si maintes assertions ou conseils pratiques de Steiner – qu’il a lui-même tirés de son activité imaginative, c’est-à-dire de sa « connaissance des mondes suprasensibles » – peuvent déconcerter, comme les méthodes qu’il propose pour améliorer la fertilité des sols en insérant le fumier dans une corne de vache et en l’enterrant tout l’hiver, il n’en est pas moins vrai que l’expérience lui donne souvent raison – ce dont témoignent le succès et le développement actuels de l’agriculture biodynamique. S’il est parfois difficile de les comprendre et de les accepter, on peut au moins être ouvert au caractère poétique de certaines images utilisées par le fondateur de l’anthroposophie ; je terminerai sur celle-ci, qui compare les sources aux yeux de la terre : « là où existent les sources, la terre porte son regard loin dans l’espace cosmique. »68

Ce texte provient de la revue Politica Hermetica, n° 27, 2013, « Écologie et ésotérismes ». Mis à disposition par Politica Hermetica, et Mme. A. Choné.

A propos de l’auteure

Aurélie Choné

Aurélie Choné est chercheur et maître de conférences à l’Université de Strasbourg, faculté Mondes germaniques et nord-européens. Ses champs de recherche sont la littérature et altérité culturelle – réception des pensées et religions orientales, en particulier indiennes, dans l’espace germanophone (19e-20e siècles), littérature et spiritualité (étude des courants ésotériques (notamment l’anthroposophie) – ainsi que la littérature et la spatialité.

  1. Il s’agit du Kräutersammler Felix Koguzki, rencontré en 1880. Cf. GA (Rudolf Steiner Gesamtausgabe, Rudolf Steiner Verlag) 28, Mein Lebensgang, pp. 46 et suivantes. Voir aussi GA 262, p. 16 : Nachrichten der Rudolf Steiner-Nachlassverwaltung mit Veröffentlichungen aus dem Archiv Nr. 13, Dornach, Ostern 1965 – Rudolf Steiner autobiographische Skizze, Geschrieben für Edouard Schuré in Barr im Elsaß am 9. September 1907 : « Nicht sogleich begegnete ich dem M. [Meister], sondern zuerst einem von ihm Gesandten, der in die Geheimnisse der Wirksamkeit aller Pflanzen und ihres Zusammenhanges mit dem Kosmos und mit der menschlichen Natur vollkommen eingeweiht war. Ihm war der Umgang mit den Geistern der Natur etwas Selbstverständliches, das ohne Enthusiasmus vorgebracht wurde, doch um so mehr Enthusiasmus erweckte. »
  2. Notons que cette pensée de l’évolution le distingue très fortement du courant pérénialiste.
  3. Ernst Haeckel, Generelle Morphologie der Organismen, Berlin, Verlag von Georg Reimer, 1866, p. 286 : « Unter Oecologie verstehen wir die gesammte Wissenschaft von den Beziehungen des Organismus zur umgebenden Aussenwelt, wohin wir im weiteren Sinne alle „Existenz-Bedingungen“ rechnen können. Diese sind theils organischer, theils anorganischer Natur; sowohl diese als jene sind, wie wir vorher gezeigt haben, von der grössten Bedeutung für die Form der Organismen, weil sie dieselbe zwingen, sich ihnen anzupassen. »
  4. GA 262, Nachrichten der Rudolf Steiner-Nachlassverwaltung mit Veröffentlichungen aus dem Archiv Nr. 13, p. 4 : « Nun ist trotz aller deutschen Philosophie, trotz aller übrigen deutschen Bildung Haeckels phylogenetischer Gedanke die bedeutendste Tat des deutschen Geisteslebens in der zweiten Hälfte des neunzehnten Jahrhunderts. Und es gibt keine bessere wissenschaftliche Grundlegung des Okkultismus als Haeckels Lehre. »
  5. L’ouvrage Welt- und Lebensanschauungen im 19. Jahrhundert, paru à Berlin en 1900-1901, est dédicacé à Haeckel.
  6. Rudolf Steiner, Haeckel und seine Gegner, 1899, GA 30, Methodische Grundlagen der Anthroposophie, pp. 152-200.
  7. GA 262, Nachrichten der Rudolf Steiner-Nachlassverwaltung mit Veröffentlichungen aus dem Archiv Nr. 13, p. 4 : « Und es gibt keine bessere wissenschaftliche Grundlegung des Okkultismus als Haeckels Lehre. Haeckels Lehre ist groß, und Haeckel der schlechteste Kommentator dieser Lehre. »
  8. Il n’est pas le seul à qualifier le matérialisme de « naïf ». Avant lui, on peut citer le philosophe néo-kantien Friedrich Albert Lange dans Geschichte des Materialismus und Kritik seiner Bedeutung in der Gegenwart, 1866.
  9. GA 262, Nachrichten der Rudolf Steiner-Nachlassverwaltung mit Veröffentlichungen aus dem Archiv Nr. 13, p. 4 (voir note 7).
  10. Büchner fut un grand vulgarisateur du matérialisme. Son ouvrage Kraft und Stoff eut un immense retentissement à l’époque : Kraft und Stoff, Empirisch-naturphilosophische Studien, in allgemein verständlicher Darstellung, Frankfurt am Main, Meidinger Sohn, 1855.
  11. Cf. Christoph Kockerbeck (éd.), Carl Vogt, Jacob Moleschott, Ludwig Büchner, Ernst Haeckel. Briefwechsel, Marburg, Basilisken Presse, 1999.
  12. GA 223, Der Jahreskreislauf als Atmungsvorgang der Erde und die vier grossen Festeszeiten. Die Anthroposophie und das menschliche Gemüt, Vienne, 1er octobre 1923, in Rudolf Steiner, Écologie spirituelle, Textes choisis et commentés par Matthew Barton, traduit de l’allemand par René Wisser, Triades, 2011, p. 33. Titre original : Spirituelle Ökologie, Dornach, Rudolf Steiner Verlag, 2009.
  13. Rudolf Steiner GA 28, p. 221, p. 4 : « Der konnte nur Sinnes-Eindrücke vertragen, nicht Gedanken, die sich in den Dingen und Vorgängen offenbaren. Jede Bewegung an Haeckel war darauf gerichtet, gelten zu lassen, was die Sinne aussprechen, nicht den beherrschenden Gedanken in ihr sich offenbaren zu lassen. Ich verstand, warum Haeckel so gerne malte. Er ging in der Sinnesanschauung auf. Wo er beginnen sollte, zu denken, da hörte er auf, die Seelentätigkeit zu entfalten und hielt lieber das Gesehene durch den Pinsel fest. » Trad. fr. : « II ne pouvait supporter que les impressions, les perceptions des sens, et non les pensées qui se révèlent dans les choses et les phénomènes. Tout mouvement intérieur chez lui tendait à laisser parler le sentiment et non l’idée qui l’avait provoqué. Je compris pourquoi il prenait tant de plaisir à peindre. Il s’épanouissait dans la contemplation sensible ; là où il aurait dû commencer à penser, l’activité de son âme s’arrêtait, et il préférait fixer ce qu’il voyait avec son pinceau. »
  14. Johann Wolfgang Goethe, Versuch die Metamorphose der Pflanzen zu erklären, Gotha, Ettingersche Buchhandlung, 1790. Notons qu’en 1798, Goethe écrira une version de La Métamorphose des plantes sous forme de poème.
  15. Thomas Pauls, Préface à Johann Wolfgang de Goethe, La Métamorphose des plantes, édition bilingue français-allemand de Jean-Marie Reynier, éditions Notari, 2012.
  16. Johann Wolfgang von Goethe, Maximes et Réflexions, traduction par Sigismond Sklower, Paris, Brockhaus et Avenarius, 1842, p. 149.
  17. Goethe cité par Steiner, GA 9, Théosophie, chapitre « La nature de l’homme », in Rudolf Steiner, Écologie spirituelle, p. 14. Theosophie, « Das Wesen des Menschen », pp. 24-25 : « So soll den echten Botaniker weder die Schönheit noch die Nutzbarkeit der Pflanzen rühren, er soll ihre Bildung, ihr Verhältnis zu dem übrigen Pflanzenreiche untersuchen; und wie sie alle von der Sonne hervorgelockt und beschienen werden, so soll er mit einem gleichen ruhigen Blicke sie alle ansehen und übersehen und den Maßstab zu dieser Erkenntnis, die Data der Beurteilung nicht aus sich, sondern aus dem Kreise der Dinge nehmen, die er beobachtet.»
  18. Rudolf Steiner, GA 9, Théosophie, « Le sentier de la connaissance », Écologie spirituelle, p. 19. Theosophie, « Der Pfad der Erkenntnis » : « Man lasse die Dinge und Ereignisse mehr zu sich sprechen, als daß man über sie spreche. Und man dehne das auch auf seine Gedankenwelt aus. (…) Durch diese Übung macht sich der Mensch aufnahmefähig für alles dasjenige, was ihn umgibt. »
  19. Rudolf Steiner, Grundlinien einer Erkenntnistheorie der goetheschen Weltanschauung. Mit besonderer Rücksicht auf Schiller (1886), GA 2, Dornach, Rudolf Steiner Verlag, 2009, 3. Auflage, p. 74 : « Beim Typus müssen wir aus der Urform jenen besonderen Fall, der uns vor-liegt, heraus entwickeln. Wir dürfen den Typus der einzelnen Gestalt nicht gegenüberstellen, um zu sehen, wie er die letztere regelt; wir müssen sie aus demselben hervorgehen lassen. Das Gesetz beherrscht die Erscheinung als ein über ihr Stehendes; der Typus fließt in das einzelne Lebewesen ein; er identifiziert sich mit ihm. »
  20. Ibid., p. 72 : « Die Darwinsche Theorie setzt den Typus voraus. (…) Wie ein roter Faden zieht sich der Typus durch alle Entwicklungsstufen der organischen Welt. Wir müssen ihn festhalten und dann mit ihm dieses große, verschieden-gestaltige Reich durchwandern. », Épistémologie de la pensée goethéenne, in Mystique et Esprit moderne, Traduction de Gérard Klockenbring et Maurice Leblanc, Paris, Fischbacher, 1967, p. 89.
  21. « Die Anthroposophie und das menschliche Gemüt », 4. Vortrag, Vienne, 1er octobre 1923, in Écologie spirituelle, pp. 30-31. GA 223 : Der Jahreskreislauf als Atmungsvorgang der Erde und die vier grossen Festeszeiten. Die Anthroposophie und das menschliche Gemüt, « Mit der Pflanze keimen können, mit der Pflanze blühen können, mit der Pflanze fruchten können: (…) Wer gelernt hat, mit der Natur zu leben, der bringt es auch dahin, mit der Natur zu sterben. Wer gelernt hat, im Frühling mit der Natur zu leben, der lernt auch, im Herbst mit der Natur zu sterben. »
  22. Ibid., p. 31.
  23. Steiner, GA 327, Geisteswissenschaftliche Grundlagen zum Gedeihen der Landwirtschaft (Landwirtschaftlicher Kursus), Koberwitz, 14 juin 1924, in Écologie spirituelle, p. 33. « Natur ist ein Ganzes, von überall her wirken die Kräfte. Wer einen offenen Sinn hat für das offensichtliche Kräftewirken, der begreift die Natur (…). Wenn wir aber den Weg finden werden zum Makrokosmos, dann wird man wieder von der Natur und mancherlei anderen Dingen etwas verstehen. »
  24. Rudolf Steiner, « Paracelsus », Berlin, 26 avril 1906, in Rudolf Steiner Nachlass-Verwaltung, GA 54, Öffentliche Vorträge, p. 481 : « Mit genialem Blick suchte er den Bau des Weltgebäudes zu erfassen. Sein erstaunender Blick schaute hinauf zu den Geheimnissen der Sternenwelt, vertiefte sich in den Bau der Erde und namentlich auch in den Bau des Menschen selbst. »
  25. Paracelse, Philosophia ad Athenienses, Byrckmannus, 1564.
  26. C’est aussi l’une des raisons pour lesquelles Steiner s’est intéressé aux théories du penseur anarcho-communiste Piotr Kropotkin (1842-1921) sur la solidarité et l’entraide dans le monde animal et humain. Cf. Gegenseitige Hilfe in der Entwickelung, 1904. Titre original : Mutual Aid: A Factor of Evolution, 1902. Notons que ces interprétations « solidaires » du darwinisme étaient également présentes au sein de la Ligue moniste fondée en Allemagne en 1906. Cf. Wilhelm Bölsche, Daseinkampf und gegenseitige Hilfe in der Entwicklung, 1909.
  27. Steiner, Écologie spirituelle, Dornach, 15 décembre 1923, p. 129. GA 351, Mensch und Welt. Das Wirken des Geistes in der Natur – Über das Wesen der Bienen, Neun Vorträge, gehalten für die Arbeiter am Goetheanumbau in Dornach am 3. Februar und vom 26. November bis 22. Dezember, in Vorträgen aus den Jahren 1905 bis 1924.
  28. Ibid., p. 108.
  29. James Lovelock, The Ages of Gaia, New York, 1989 : « The name of the living planet, Gaia, is not a synonym for the biosphere – that part of the Earth where living things are seen normally to exist. Still less is Gaia the same as the biota, which is simply the collection of all individual living organisms. The biota and the biosphere taken together form a part but not all of Gaia. Just as the shell is part of the snail, so the rocks, the air, and the oceans are part of Gaia. Gaia, as we shall see, has continuity with the past back to the origins of life, and in the future as long as life persists. Gaia, as a total planetary being, has properties that are not necessarily discernable by just knowing individual species or populations of organisms living together… Specifically, the Gaia hypothesis says that the temperature, oxidation, state, acidity, and certain aspects of the rocks and waters are kept constant, and that this homeostasis is maintained by active feedback processes operated automatically and unconsciously by the biota… »
  30. Paracelse remplace les quatre éléments (terre, eau, air, feu) par trois substances, ou plutôt, en ajoutant le sel aux deux substances jusqu’alors admises (soufre et mercure). Il place les trois substances dans les quatre éléments : « Parmi toutes les substances, il en est trois qui donnent à chaque chose leur corps, c’est-à-dire que tout corps consiste en trois choses. Les noms de celles-ci sont : soufre, mercure, sel. Si ces trois choses sont réunies, alors elles forment un corps (…). La vision des choses intérieures, qui est le secret, appartient aux médecins. (…) Prenez l’exemple du bois. Celui-ci est un corps par lui-même. Brûlez-le. Ce qui brûlera, c’est le soufre ; ce qui s’exhale en fumée, c’est le mercure ; ce qui reste en cendres, c’est le sel. (…) Ce qui brûle, c’est le soufre ; celui-là [le mercure] se sublime, parce qu’il est volatil ; la troisième substance [le sel] sert à constituer tout corps. » Paracelse, Liber paramirum (1531), livre I : Des causes et origines des maladies provenant des trois premières substances, chap. 2 : Œuvres médico-chimiques ou Paradoxes. Liber paramirum, trad. de l’all. J. Grillot de Givry (1913), t. 1 pp. 158-161.
  31. Les éléments – terre, eau, air, feu – sont emplis d’êtres vivants, les « élémentaux » : gnomes, nymphes, ondines… présents également chez Paracelse. Steiner propose de pénétrer de manière imaginative dans ce monde d’êtres vivants, oubliés aujourd’hui et dont les noms ne sont plus utilisés que par les poètes.
  32. Une journée de la terre correspond selon Steiner à sa rotation autour de son point vernal, ce qui correspond à une respiration de 18 années.
  33. GA 352 : Natur und Mensch in geisteswissenschaftlicher Betrachtung, Écologie spirituelle, p. 59.
  34. Judith E. Schlanger, Les Métaphores de l’organisme, Paris, Vrin, 1971.
  35. GA 60, Antworten der Geisteswissenschaft auf die grossen Fragen des Daseins, Écologie spirituelle, p. 77.
  36. C’est encore le cas pour les anthroposophes aujourd’hui, notamment pour Jean-Marie Pelt, éminent botaniste proche du courant anthroposophique. Cf. Plantes, Amours et Civilisation végétales, Paris, Fayard, 1983.
  37. GA 327Geisteswissenschaftliche Grundlagen zum Gedeihen der Landwirtschaft (Landwirtschaftlicher Kurs). Acht Vorträge, gehalten in Koberwitz bei Breslau, Dornach, 7-16 juin 1924, p. 22 : « Am Pflanzenwachstum ist der ganze Himmel mit seinen Sternen beteiligt ! »
  38. Écologie spirituelle, p. 57. GA 201, Entsprechungen zwischen Mikrokosmos und Makrokosmos Der Mensch – eine Hieroglyphe des Weltenalls. Sechzehn Vorträge, gehalten in Dornach zwischen dem 9. April und 16. Mai 1920.
  39. Écologie spirituelle, p. 39, GA 201.
  40. Ibid.
  41. C’est ainsi que Paracelse lui-même définit l’alchimie. Cf. Paracelse, De l’Alchimie, Presses universitaires de Strasbourg, 2000, p. 66.
  42. Steiner, GA 7 Die Mystik im Aufgange des neuzeitlichen Geisteslebens und ihr Verhältnis zur modernen Weltanschauung, p. 108 : « Goethe hat das Verhäntnis zur Natur (…) mit den schönen Sätzen geschildert : « Wenn die gesunde Natur des Menschen als ein Ganzes wirkt, wenn er sich in der Welt als in einem großen, schönen, würdigen und werten Ganzen fühlt, wenn das harmonische Behagen ihm ein reines, freies Entzücken gewährt: dann würde das Weltall, wenn es sich selbst empfinden könnte, als an sein Ziel gelangt, aufjauchzen, und den Gipfel des eigenen Werdens und Wesens bewundern.»
  43. Il cite surtout Schelling, Lorenz Oken, Ignatz Paul Vitalis Troxler et Rudolf Hermann Lotze.
  44. Je complèterai avec ces mots d’Antoine Faivre, qui s’appliquent aux Naturphilosophen : « Il s’agit bien d’une mystique de la nature, à condition de ne pas prendre le mot “mystique” au sens de “fusion unitive”, et dans la mesure où la nature, qui apparaît comme une révélation graduelle de Dieu, se trouve divinisée en même temps que Dieu se fait nature, les sciences “naturelles” acquérant du même coup une signification religieuse. » Cf. Antoine Faivre, Philosophie de la nature, Physique sacrée et théosophie, 18e-19e siècles, Paris, Albin Michel, 1996, p. 25.
  45. GA 20, Vom Menschenrätsel, p. 41 : « Geist in der Natur suchte Schelling durch die intellektuelle Anschauung. »
  46. Ibid., p. 58 : « (…) vergessenen Strömung im deutschen Geistesleben ».
  47. Helmut Zander, Anthroposophie in Deutschland, Band 1, Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 2007, p. 918 : « (…) historisch gibt es keinen Weg von Schelling zu Steiner. »
  48. Ibid., p. 928 : « Die Rezeption der romantischen Naturphilosophen wurde zu einem Element der Nationalisierung von Steiners Theosophie. »
  49. Cf. Helmut Zander, Anthroposophie in Deutschland I, pp. 376-379.
  50. Martin Green, Montain of Truth. The Counterculture Begins: Ascona 1900-1920, Hanovre, Londres, Univ. Press of New England, 1986.
  51. Paul Gimeno, « L’esprit d’Ascona. Précurseur d’un écologisme spirituel et pacifiste », in Écologie & Politique, 1/2003 (n° 27), pp. 235-244.
  52. Cf. GA 223 : Der Jahreskreislauf als Atmungsvorgang der Erde und die vier grossen Festeszeiten. Die Anthroposophie und das menschliche Gemüt. Trad. fr. : Les Fêtes chrétiennes et la Respiration de la terre, Triades, 2004.
  53. En organisant des fêtes de solstices, en réhabilitant les danses populaires, en relançant le théâtre en plein air et les randonnées des Vaganten médiévaux, le Cercle Sera entendait expérimenter de nouvelles formes de socialité sur l’herbe des prairies.
  54. Steiner refuse de reconnaître en Krishnamurti une réincarnation du Christ et du Bouddha.
  55. Cf. Kaj Noschis, Monte Verità : Ascona et le Génie du lieu, Lausanne, Presses polytechniques et universitaires romandes, coll. « Le savoir suisse », 2011, p. 51.
  56. Kneipp était un adepte de la douche écossaise et s’est inspiré de la « médecine monastique », notamment des jardins d’herbes médicinales dans les monastères.
  57. Cf. Martin Green, Montain of Truth. The Counterculture Begins: Ascona 1900-1920, Hanovre, Londres, Univ. Press of New England, 1986.
  58. Je renvoie ici au chapitre 8 de l’Épitre de Saint-Paul aux Romains : « La création tout entière soupire et souffre les douleurs de l’enfantement. »
  59. Écologie spirituelle, p. 39, GA 201, Dornach, 9 mai 1920. Entsprechungen zwischen. Mikrokosmos und Makrokosmos. Der Mensch – eine Hieroglyphe des Weltenalls, Sechzehn Vorträge, gehalten in Dornach zwischen dem 9. April und 16. Mai 1920 : « Ebensowenig wie Sie eine Hand, die Sie abtrennen vom menschlichen Organismus, als irgend etwas Reales ansehen können – sie stirbt ab, sie ist nur denkbar im Zusammenhange mit dem Organismus –, ebensowenig wie Sie eine Rose, die gepflückt ist, als etwas Reales ansehen können – sie stirbt ab, sie ist nur denkbar im Verein mit dem ganzen in der Erde wurzelnden Rosenstock –, ebensowenig kann man auch den Menschen, wenn man ihn in seiner Ganzheit, Totalität beurteilen will, als bloß in den Grenzen seiner Haut eingeschlossen betrachten. »
  60. Cf. par exemple Rudolf Steiner, « Paracelsus », Berlin, 26. April 1906. In Rudolf Steiner Nachlass-Verwaltung, GA 54, Öffentliche Vorträge.
  61. Imaginer voulait dire « correspondre dans la lumière naturelle, et dans une expérience sui generis, à la plénitude invisible du monde, de l’homme et des choses. » Lucien Braun cité par Antoine Faivre, Accès de l’ésotérisme occidental, tome II, Paris, Gallimard, coll. « NRF », 1996, p. 203.
  62. Antoine Faivre, Accès de l’ésotérisme occidental, tome II, Paris, Gallimard, coll. « NRF », 1996, p. 218.
  63. Écologie spirituelle, p. 107. GA 327, Geisteswissenschaftliche Grundlagen zum Gedeihen der Landwirtschaft (Landwirtschaftlicher Kursus), Koberwitz, 15. Juni 1924, Die naturintimeren Wechselwirkungen:Das Verhältnis von Feldwirtschaft, Obstwirtschaft und Viehzucht.
  64. Landwirtschaftlicher Kurs, p. 11 : «  (…) dass im Laufe der letzten Jahrzehnte sich innerhalb der Landwirtschaft das ergeben hat, dass alle Produkte, von denen der Mensch eigentlich lebt, degenerieren, und zwar in einem außerordentlich raschen Maßstab degenerieren. »
  65. Écologie spirituelle, p. 169, GA 311, Die Kunst des Erziehens aus dem Erfassen der Menschenwesenheit, Torquay, 14 août 1924 : « Es steht nicht mehr bloß auf dem toten Erdboden, sondern es steht auf dem lebendigen Erdboden und empfindet die Erde als Lebendiges. Es bekommt allmählich die Vorstellung, es stehe auf dem Erdboden so, wie wenn es auf einem großen Organismus stünde, wie zum Beispiel auf einem Walfisch. Das ist auch die richtige Empfindung. Das allein führt in die ganze menschliche Weltempfindung hinein. »
  66. GA 120, Die Offenbarungen des Karma, Hambourg, 17 mai 1910 : « Da draußen seid ihr, Tiere. Wenn ihr leidet, leidet ihr etwas, was uns Menschen zugute kommt. Wir Menschen haben die Möglichkeit, das Leiden zu überwinden; ihr müßt das Leiden erdulden. Wir aber haben euch das Leiden gelassen – und uns die Überwindung genommen! »
  67. Cf. par exemple les ouvrages collectifs Vers une écologie spirituelle, Paris, Albin Michel, 2002. Frédéric Paul Piguet, Approches spirituelles de l’écologie, Éditions Charles Léopold Mayer, 2003. Depuis quelques années on parle aussi d’« écospiritualité ».
  68. Écologie spirituelle, pp. 61-62, GA 352, Natur und Mensch in geisteswissenschaftlicher Betrachtung, p. 84 : « Die Quellen sind nämlich die Augen der Erde. (…) Die Quellen, die süßes Wasser haben, sind frei für den Weltenraum und sind wie unsere Augen, die sich auch hinaus ins Freie öffnen. »