Source : rapport d’activité 2018 du FiBL, pages 38-40, consultable en ligne ici.
C’est aujourd’hui (2018) l’anniversaire du plus ancien et du plus important essai DOC de longue durée, qui compare les trois systèmes de culture (biodynamique, organo-biologique et conventionnel). Paul Mäder, directeur du Département des sciences du sol au FiBL Suisse, résume les résultats les plus intéressants obtenus dans le cadre de cet essai qui dure depuis 40 ans.
Saviez-vous qu’il y a autant d’êtres vivants dans une poignée de terre arable que d’êtres humains sur la Terre? Ces organismes préservent la fertilité du sol, libèrent des nutriments pour les plantes et forment des agrégats qui protègent le sol de l’érosion par le vent et l’eau.
Une protection comparable à la peau humaine
L’humus issu de la décomposition des résidus végétaux depuis des milliers d’années recouvre le sous-sol des régions fertiles de notre planète, formant une couche de protection comparable à la peau humaine. L’agriculture intensive actuelle, fondée sur l’utilisation de grandes quantités d’engrais chimiques et de produits phytosanitaires et sur l’emploi de lourds engins agricoles, détruit nos sols. Ainsi, l’érosion a d’ores et déjà causé la perte d’environ un tiers des terres arables fertiles dans le monde. En Suisse, nos sols sont cultivés selon des méthodes moins intensives par des agriculteurs adéquatement formés et soutenus par un système de paiements directs ingénieux.
Pourtant, les sols cultivés selon les méthodes de l’agriculture biologique et, plus particulièrement, de l’agriculture biodynamique renferment davantage d’humus, présentent une plus grande activité biologique, sont plus riches en espèces et produisent moins de gaz à effets de serre. En outre, ils transforment de manière plus efficace l’énergie et les nutriments, avec pour corollaires de meilleurs rendements. C’est ce que montrent les résultats de l’essai mené depuis 1978 à Therwil, près de Bâle, qui compare les systèmes de culture biodynamique, organo-biologique et conventionnel (essai DOC).
L’agriculture biodynamique est bénéfique au climat
Des différences visibles à l’œil nu
Il suffit de marcher dans le champ de l’essai DOC après une forte pluie pour s’apercevoir que les parcelles cultivées selon les méthodes bio sont moins boueuses. Une simple bêche permet de percer ce mystère: les sols cultivés en agriculture bio sont truffés de galeries de lombric, qui favorisent l’infiltration de l’eau de pluie dans le sol.
Quant aux pommes de terre, on constate que les conventionnelles sont nettement plus grosses que les bio, et cela n’est pas un hasard: les pommes de terre conventionnelles reçoivent en moyenne deux fois plus d’engrais et 12 pulvérisations de produits phytosanitaires contre les adventices, les champignons et les insectes. En poursuivant la visite des installations de l’essai, on découvre le blé bio, bien droit et un peu plus haut, car il n’est pas pulvérisé de régulateurs de croissance chimiques qui le maintiennent à une certaine hauteur pour l’empêcher de plier sous les rafales de vent.
Les systèmes bio ont des rendements plus faibles, mais une production plus efficace
En termes de rendements moyens, le procédé conventionnel est supérieur à tous les autres procédés de culture. En agriculture biologique, la récolte est en moyenne inférieure de près de 20 %. Fait notable: la différence de rendement entre le système biologique et le système conventionnel est restée stable tout au long de ces 40 dernières années, car les systèmes bio ont permis de maintenir la fertilité des sols. Dans les variantes bio, la production est assurée avec environ 50 % d’engrais et d’énergie en moins; elles sont donc plus efficaces et respectueuses de l’environnement.
Les différences entre les systèmes biologique et biodynamique sont tout aussi intéressantes. Bien que les rendements des pommes de terre dans le système biologique soient environ 15 % plus élevés que ceux du système biodynamique grâce aux pulvérisations de cuivre, les rendements de blé biodynamique ces dernières années sont supérieurs de 20 % environ à ceux du système bio. Ce surcroît s’explique vraisemblablement par une meilleure structure du sol et par une plus grande activité biologique, ainsi que par l’utilisation dans le système biodynamique de variétés de blé bio adaptées, provenant du sélectionneur de céréales Peter Kunz.
Une eau potable de qualité grâce à l’agriculture bio
Dans le procédé biodynamique, les sols sont traités avec du fumier composté et des préparations biodynamiques; dans le procédé biologique, les parcelles d’essai reçoivent du fumier et dans le procédé conventionnel des engrais chimiques et du fumier. Dans les parcelles biodynamiques, on renonce entièrement aux produits phytosanitaires, tandis qu’on utilise du cuivre pour protéger des maladies les pommes de terre cultivées selon les méthodes bio. Contre le doryphore, il existe des traitements naturels (Bacillus thuringiensis) autorisés par les deux systèmes de culture. Au fil des années, ce sont 95 % de substances toxiques en moins qui ont été pulvérisées dans le système biologique et 100 % en moins dans le système biodynamique par rapport au système conventionnel. Cela est important non seulement pour les insectes, mais aussi pour obtenir des aliments non contaminés et une eau potable de qualité.
Un sol bio plus vivant et plus riche en humus
A long terme, l’exploitation différenciée des parcelles DOC a durablement influencé les conditions de vie des micro-organismes. Les bactéries, les champignons et les organismes unicellulaires semblent préférer les parcelles fertilisées de façon organique, et la présence d’une communauté microbienne nettement plus diversifiée assure le maintien du cycle des nutriments en période de sécheresse également. Lors d’une étude de modélisation réalisée dans le cadre sa thèse, Martina Lori a montré qu’en période de sécheresse les sols bio minéralisaient davantage l’azote issu d’un engrais vert de légumineuses et que la culture test de ray-grass absorbait par conséquent une plus grande quantité d’azote (page 14).
En outre, l’agriculture bio favorise tout particulièrement la diversité des mycorhizes et les coléoptères utiles. Dans les sols cultivés selon les méthodes biologiques, la masse des micro-organismes est supérieure de 30 % environ et dans les sols cultivés selon les méthodes biodynamiques de 60 % environ par rapport aux parcelles conventionnelles.
Des chiffres qui correspondent à la tendance globale. Le FiBL a évalué dans le cadre de deux grandes méta- analyses une série d’études internationales portant sur la teneur en humus et l’activité biologique. Résultats: dans les sols bio, l’humus contenait jusqu’à 3,2 t de carbone en plus par hectare et l’activité y était supérieure de 84 %. Notons que dans les variantes bio, non seulement la communauté des organismes du sol était plus riche, mais la flore messicole était également plus diversifiée. Preuve supplémentaire que les espèces vivant en surface et sous terre s’influencent mutuellement.
L’agriculture bio plus favorable au climat
Si l’agriculture est affectée par le changement climatique, elle y contribue également. Les mesures effectuées dans l’essai DOC ont montré que les émissions de gaz à effets de serre étaient inférieures de 36 % dans les parcelles biologiques et de 61 % dans les parcelles biodynamiques. Cela est lié d’une part à l’utilisation réduite de l’azote dans les systèmes bio et, d’autre part, à une meilleure structure du sol, à un pH stable et à des communautés microbiennes capables de transformer le protoxyde d’azote en azote élémentaire inoffensif. En conclusion, le système biodynamique est particulièrement favorable au climat, car il conserve le carbone dans le sol de manière optimale, sous forme d’humus.
Paul Mäder, directeur du Département des sciences du sol au FiBL
Essai de longue durée DOC
Financement principal : Office fédéral de l’agriculture;
Financement : Fonds national suisse de la recherche scientifique, Union européenne, divers investisseurs nationaux et internationaux
Données clés : dans le cadre de l’essai DOC de longue durée mené à Therwil, en Suisse, des agriculteurs et des chercheurs collaborent depuis 1978 à l’élaboration de bases de connaissances destinées aux décideurs, qu’ils soient responsables politiques ou acteurs de la société civile. Les résultats obtenus lors de cet essai ont été présentés dans près de 120 publications scientifiques et une multitude d’articles spécialisés et d’exposés élaborés par des instituts nationaux et internationaux renommés. L’essai DOC sert en outre de modèle aux multiples tentatives d’essais comparatifs de systèmes à travers le monde. En Suisse, le Secrétariat d’Etat à la formation, à la recherche et à l’innovation a récemment inscrit l’essai DOC sur la feuille de route des infrastructures de recherche suisses, qui répertorie les plus prestigieuses unités de recherche nationales. La gestion des installations, ainsi que la collecte et l’exploitation des données scientifiques sont assurées par le FiBL Suisse en coopération avec l’institut de recherche public Agroscope. Le maïs, le blé d’automne, les pommes de terre, le trèfle et le soja sont cultivés en rotation.