Le rôle du profilage isotopique dans l’identification des pratiques biologiques et biodynamiques dans la culture du raisin Vitis labrusca

Résumé d’un article de Leonardelli et al. (2025) paru en 2025 dans la revue Food Chemistry, Volume 474. DOI : https://doi.org/10.1016/j.foodchem.2025.143192

Titre original : The role of isotopic profiling in identifying organic and biodynamic practices in Vitis labrusca grape cultivation

Introduction

Parmi les atomes qui constituent les éléments chimiques tels que le carbone, l’azote, etc., il existe différentes variantes que l’on appelle les isotopes. Ils se distinguent les uns des autres par le nombre de particules subatomiques (neutrons) qui les composent. Par exemple, il existe du Carbone 12, du carbone 13 et du carbone 14, utilisé notamment pour la datation. Une signature isotopique est l’ensemble des rapports des concentrations des différents isotopes d’un même élément dans un échantillon. Les signatures isotopiques sont aussi appelées empreintes, car, comme les empreintes digitales, elles sont utilisées pour le suivi et la traçabilité.

La composition isotopique est un outil important pour garantir la qualité et l’authenticité des produits. Les isotopes de l’azote dans les plantes reflètent les types d’engrais, permettant de distinguer les sources biologiques, des sources synthétiques. Des facteurs environnementaux tels que le climat, la température, l’altitude, la latitude et les précipitations affectent aussi la composition isotopique de l’hydrogène et de l’oxygène, ce qui permet de retracer l’origine géographique des plantes (Torres-Cobos et al., 2024).

Cette étude se distingue par l’utilisation de l’analyse multi-isotopique sur Vitis labrusca, un cépage largement utilisé dans la production de jus de raisin. Il s’agit de la première étude à examiner la culture biodynamique dans ce contexte isotopique, ce qui souligne son importance. Par conséquent, cette étude vise à analyser les isotopes de l’azote, du carbone et de l’oxygène afin de distinguer les types d’engrais utilisés en viticulture.

En outre, compte tenu de la demande croissante de raisins biologiques et de leur valeur marchande élevée, le risque de pratiques frauduleuses a également augmenté. Ce scénario souligne l’urgence de développer des méthodes et des procédures solides pour authentifier les produits biologiques, garantissant ainsi la transparence vis-à-vis des consommateurs.

L’isotope stable de l’azote est considéré comme l’indicateur le plus fiable pour discriminer l’utilisation d’engrais biologiques ou synthétiques (Ogrinc et al., 2024). L’azote possède deux isotopes stables : sa forme la plus légère, 14N, constituant 99,63 % et la forme plus lourde, 15N, constituant 0,37 % (Hoefs, 2009). Le rapport isotopique, généralement exprimé en delta (δ) par mille (‰), diffère considérablement entre les engrais biologiques et synthétiques. La fertilisation biologique, qui enrichit le sol en matière organique, tend à augmenter les valeurs δ15N, atteignant environ 10 ‰. En revanche, les engrais synthétiques sont dérivés de l’azote atmosphérique et présentent des valeurs de δ15N proches de 0 ‰ (Caxito & Silva, 2015 ; Ducatti et al., 2011 ; Ogrinc et al., 2024).

Les différents procédés de fabrication des engrais entraînent des fractionnements isotopiques distincts. Dans les engrais biologiques, l’azote provient de matières organiques d’origine végétale et animale qui, après compostage, deviennent plus riches en 15N, présentant des valeurs δ15N plus élevées. Cet enrichissement est causé par le fractionnement isotopique pendant le processus de compostage, où l’isotope le plus léger (14N) est perdu par volatilisation et dénitrification de NH3.

En revanche, le processus de production des engrais synthétiques n’entraîne pas de fractionnement isotopique significatif. Les engrais synthétiques sont produits par la conversion de l’azote atmosphérique (N2) en ammonium (NH4) par fixation chimique via le procédé Haber-Bosh (Galloway et al., 2004 ; Ogrinc et al., 2024). Par conséquent, les valeurs δ15N des engrais synthétiques sont généralement similaires à celles de l’azote gazeux atmosphérique (Choi et al., 2017).

La fertilisation azotée influence également le cycle du carbone, par le biais de la photosynthèse et de l’efficacité de l’utilisation de l’eau (Klaus et al., 2013). Par conséquent, le rapport isotopique du carbone constitue un indicateur précieux des systèmes de production (Coe et al., 2013). De même, les isotopes de l’oxygène offrent un aperçu du système de production, car un fractionnement isotopique se produit naturellement par la formation de vapeur, la condensation et les cycles de transport de l’humidité (Balagizi & Liotta, 2019 ; Kercher et al., 2023 ; Rahul et al., 2018).

Résultats

Valeurs isotopiques de l’azote (δ15N)

Une fertilisation biologique ou chimique efficace est essentielle pour favoriser la croissance, la productivité de la vigne et garantir la qualité des fruits. Le rapport isotopique de 15N/14N dans les plantes est lié à la fixation de l’azote. Les plantes qui ne peuvent pas fixer l’azote atmosphérique dépendent de l’azote fourni par la fertilisation, ce qui influence considérablement l’abondance isotopique de δ15N dans le sol et les plantes.

Les raisins biologiques présentent un δ15N plus élevé que les raisins conventionnels, avec des valeurs moyennes de 7,70 ± 2,87 ‰, allant d’un minimum de 2,84 ‰ à un maximum de 12,35 ‰. Cette variation des valeurs de δ15N entre les échantillons de raisin biologique peut refléter des différences dans les types d’engrais biologiques (Munoz-Redondo et al., 2023).

L’utilisation d’engrais verts ou encore la fertirrigation peuvent expliquer le δ15N observé. La fertirrigation consiste à appliquer des engrais liquides dilués pendant l’irrigation. Nakano et al. (2003) ont rapporté que cette méthode réalisée avec des engrais biologiques donnait des valeurs de δ15N moyennes de 7,09 ‰ dans les cultures de tomates.

Lors de la comparaison des cépages au sein du groupe biologique, les variétés Yves et Isabella ont présenté une signature isotopique distincte, tandis que les variétés Isabella précoce et Concord n’ont montré aucune différence significative, avec des valeurs δ15N similaires à celles de la variété Yves. Au sein du sous-groupe biodynamique, les valeurs de δ15N vont de 7,62 à 11,24 ‰, ce qui suggère des niveaux légèrement plus élevés que dans les raisins biologiques. Cependant, il a été impossible de faire la différence entre les systèmes biologiques et biodynamiques, probablement en raison de leur similitude dans les pratiques de gestion.

En revanche, les raisins conventionnels présentaient des valeurs inférieures à celles des raisins biologiques, avec une moyenne de 2,40 ±1,07 ‰. Les résultats de notre étude sont cohérents avec ceux d’autres études, qui ont démontré qu’il est possible de différencier le δ15N des raisins cultivés en biologique ou en conventionnel dans le cultivar Tempranillo, avec des valeurs allant de 7,5 à 9,1 ‰ pour le biologique et de 0,8 à 0,2 ‰ pour le conventionnel (Santesteban et al., 2020). Dans le groupe conventionnel, il a également été possible de faire la différence entre les variétés Yves et Isabella.

Dans certains échantillons étiquetés comme biologiques, les résultats étaient plus proches de ceux du groupe de raisins conventionnels. Cet écart pourrait être attribué à des résidus de traitement synthétique dans le sol ou à des pratiques agricoles mixtes pendant la transition vers la certification biologique. La réglementation brésilienne exige une période de conversion minimale de 18 mois pour la certification biologique, contre 24 mois dans l’Union européenne et 36 mois aux États-Unis (Brasil, 2011 ; Brasil, 2014 ; European, 2018 ; Usda, 2011). Le recours à des pratiques mixtes, intentionnelles ou non, pourrait compromettre la crédibilité des labels biologiques.

Des études ont aussi mis en évidence des cas de pratiques frauduleuses. Par exemple, l’analyse δ15N de concombres, de poivrons et de courgettes étiquetés comme biologiques ont révélé des signatures isotopiques correspondantes à l’utilisation d’engrais conventionnels (Munoz-Redondo et al., 2023). Cela souligne l’importance de l’analyse isotopique pour vérifier l’authenticité des produits agricoles et garantir le respect des normes de certification biologique et biodynamique.

Valeurs isotopiques du carbone (δ13C)

Bien que les résultats pour δ13C soient proches entre les raisins biologiques et conventionnels, une différence significative a été observée dans les valeurs : les raisins biologiques présentaient un δ13C moins négatif que les raisins conventionnels.

Le rapport isotopique du carbone est déterminé par les valeurs δ13C liées à la quantité de CO2 respiratoire. Des études antérieures ont suggéré que des taux de respiration plus élevés dans les systèmes de culture biologique, dus à l’activité microbienne accrue nécessaire à la survie et au développement des plantes, souvent associée à la fertilisation biologique utilisée dans la culture, entraînent des valeurs δ13C plus faibles (Georgi et al., 2005).

Les valeurs δ13C dans les raisins biologiques variaient de 27,50 à 25,30 ‰ et les valeurs biodynamiques de 27,14 à 24,85 ‰. Les variétés du groupe des raisins biologiques ne présentent aucune différence de valeurs δ13C.

Les raisins conventionnels ont montré un δ13C allant de 29,01 à 26,02 ‰. Au sein du groupe conventionnel, il a été possible de différencier les variétés Yves des variétés Isabella et Niagara, Niagara ayant les résultats les moins négatifs et différant statistiquement des autres variétés étudiées. La différence entre les variétés du groupe conventionnel est probablement liée à la fertilisation synthétique. Cela s’explique par le fait que l’azote influence le cycle du carbone en affectant directement la photosynthèse et indirectement l’efficacité de l’utilisation de l’eau (Klaus et al., 2013). Dans ce processus, la concentration en azote a un impact sur la mobilisation des réserves, la capacité d’absorption des racines et même la capacité d’expansion cellulaire. Par conséquent, les glucides sont intrinsèquement liés aux facteurs génétiques et aux pratiques de gestion adoptées, qui régulent la concentration en azote fournie au cours du processus (Silva, 2021).

La relation étroite entre le 15N et le 13C reflète leurs rôles fondamentaux dans le processus associé à la composition de la matière organique du sol et au cycle des nutriments. La matière organique du sol est principalement composée de carbone et d’azote, les micro-organismes ayant besoin d’un équilibre entre macro et micronutriments pour une activité métabolique efficace (Pereira Neto, 1996 ; Teodoro, 2016).

Valeurs isotopiques de l’oxygène (δ18O)

Les valeurs isotopiques de l’oxygène sont influencées par divers facteurs, notamment les conditions climatiques, la situation géographique, le type de sol, l’altitude et la latitude. Ces facteurs sont liés à l’environnement dans lequel se trouve la plante ainsi qu’à sa physiologie.

Les valeurs δ18O pour les raisins biologiques allaient de 2,14 à 5,10 ‰, tandis que celles pour les raisins conventionnels allaient de 0,71 à 3,22 ‰. Dans ce cas, l’effet de la fertilisation biologique et conventionnelle n’a pas montré de différence significative entre les raisins biologiques et conventionnels. Cela indique que bien que les composés impliqués dans la fertilisation participent à la photosynthèse de la plante, ils n’influencent pas de manière significative l’ouverture et la fermeture des stomates de la plante pendant l’évapotranspiration. Par conséquent, ils ne provoquent pas de fractionnement isotopique significatif qui modifierait les résultats δ18O (Calderone & Guillou, 2008).

Les valeurs trouvées peuvent être attribuées moins à la fertilisation qu’au phénotype du raisin, aux conditions climatiques, aux précipitations pendant la récolte et au développement de la vigne (Warmling et al., 2018). L’enrichissement isotopique se produit naturellement car les niveaux de 18O dans l’eau du raisin sont nettement plus élevés que ceux des eaux souterraines ou des sources d’irrigation absorbées par le système racinaire de la plante. Cet enrichissement est associé à la perte de 16O (l’isotope le plus léger) lors de l’évapotranspiration des feuilles, ce qui entraîne une augmentation de la concentration des isotopes 18O plus lourds dans l’eau du raisin (Cueni et al., 2021).

Conclusion

En conclusion, cette étude permet d’identifier les différents types de fertilisation en viticulture grâce aux isotopes de l’azote, du carbone et de l’oxygène. Les résultats confirment l’hypothèse selon laquelle les systèmes de culture biologique produisent des signatures isotopiques distinctes par rapport aux systèmes conventionnels. Les raisins biologiques et biodynamiques présentent des valeurs similaires pour l’azote et le carbone, et les deux sont nettement différents des raisins conventionnels. Les résultats soulignent le potentiel du profilage isotopique en tant que méthode fiable pour accréditer la certification biologique et les pratiques biodynamiques. L’oxygène est moins efficace pour faire la différence entre les modes de viticulture.