Le texte présenté ci-dessous est l’une des synthèse historique et scientifique les plus complètes sur l’influence des rythmes lunaires sur les plantes. L’auteur, Ernst ZÜRCHER, est ingénieur forestier et docteur en sciences naturelles, professeur et chercheur en sciences du bois à la Haute École spécialisée bernoise, chargé de cours à l’École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL) et à l’École polytechnique fédérale de Zurich (ETHZ). Ce texte a été initalement publié dans le livre Aux Origines des Plantes (2008) sous la direction de Francis Hallé.
A l’occasion de la réunion annuelle de la Société suisse des sciences naturelles, tenue à Lucerne en 1834, le géologue [d’origine allemande] Jean de Charpentier – un défenseur de la théorie moderne des glaciations – put aller présenter les résultats de ses travaux. En route pour rejoindre cette société savante, il entra en conversation près du col du Brünig avec un bûcheron de Meiringen. Lorsque celui-ci vit l’étranger examiner un bloc de granit couché près d’un chemin, il lui dit: « Il y a beaucoup de pierres telles que celle-ci dans ces hauteurs, mais elles viennent de très loin, du massif du Grimsel ; car c’est du Geissberger [un type de roche], et les montagnes d’ici n’en sont pas. » À la question sur la manière dont ces pierres auraient pu parvenir jusqu’en cet endroit, le montagnard répondit sans hésitation : « C’est le glacier du Grimsel qui les a amenées, car celui-ci s’étendait une fois jusqu’à la ville de Berne ; ce n’est pas l’eau qui aurait pu les déposer ici, aussi loin du fond de la vallée. » Quelle rencontre ! Le célèbre professeur, avec sa conférence sur la théorie des glaciations dans sa sacoche, entend formuler par un bûcheron resté sans nom, avec la plus grande évidence, des faits au sujet desquels les érudits se disputeront encore pendant des années avant qu’ils ne deviennent un élément du patrimoine scientifique mondial. »
E. Gerber et K.L. Schmalz (1948).
Croissance des arbres et propriétés du bois : rythmes et traditions
La plupart des processus organiques – et des structures qui en résultent – présentent un caractère rythmique. Ainsi, les arbres sont caractérisés par une croissance rythmique faite de phases d’activité et de phases de repos. Cette forme de croissance ne s’exprime pas seulement lorsque le milieu est soumis à des variations saisonnières, mais également lorsqu’il offre des conditions pratiquement constantes, comme c’est le cas dans les zones équatoriales par exemple. Des variations rythmiques s’observent à presque tous les stades du développement, de la germination à la formation des graines. Cette alternance systématique entre des phases d’activité et d’autres de repos se manifeste aussi à travers la morphologie des pousses ou l’architecture de la couronne et, au niveau anatomique, dans la succession et la structure interne des cernes d’accroissement.
La question se pose de la cause et de la nature de ces rythmicités : s’agit-il simplement d’une interaction entre l’effet journalier et l’effet saisonnier du Soleil et des «mécanismes» endogènes propres à l’organisme ? Ne pourrait-il s’agir aussi d’autres formes de connexion des plantes avec des mouvements célestes, en particulier ceux de la Lune ?
Pour pouvoir survivre, l’homme, en tant qu’être hétérotrophe (utilisant la matière d’autres organismes comme nourriture), a toujours dû tenir compte de ce caractère rythmique des plantes. Lorsqu’on consulte des ouvrages se rapportant aux coutumes populaires et aux règles paysannes, qu’on lit des témoignages d’auteurs anciens (tel Hésiode, poète grec du VIII’ siècle av. J.C., auteur de Les Travaux et les jours), ou encore qu’on discute de leur expérience empirique avec des jardiniers, des paysans, des bûcherons ou des artisans travaillant le bois, deux constatations s’imposent :
- en plus du rythme des saisons, qui est de nature solaire du point de vue géocentrique, ces sources et ces personnes évoquent systématiquement les cycles lunaires comme facteur influençant la croissance, les structures, les propriétés et même certaines qualités des plantes ;
- les déclarations à ce sujet sont souvent concordantes malgré l’éloignement géographique de leurs auteurs.
Ce deuxième constat semble indiquer l’existence de faits objectifs. Ainsi, les règles générales concernant l’abattage d’arbres concordent puisqu’elles mentionnent le facteur Lune aussi bien dans la zone alpine qu’au Proche-Orient, en Inde, à Ceylan, au Brésil ou encore en Guyane, en Corée ou en Finlande. Toutes ces traditions paraissent reposer sur des observations similaires : par exemple, la période de la nouvelle Lune (ou de la Lune décroissante) est considérée comme la plus favorable pour l’abattage d’arbres donnant un bois de construction durable, résistant aux insectes et aux champignons. Une « phytopratique » allant dans ce sens concerne la période de plantation de boutures en Amérique centrale, considérée comme optimale en Lune décroissante.
À ce sujet, il faut aussi relever le fait qu’autrefois l’homme pouvait se consacrer plus longtemps et plus calmement à l’observation. Celle-ci devait même être pour lui, alors que l’existence était plus précaire qu’aujourd’hui, d’une importance vitale. Jusqu’à récemment, aucune machine, aucun processus d’automatisation ne s’interposait entre l’homme et l’objet de son travail, ce qui lui permettait probablement d’affiner à l’extrême sa perception qualitative.
Une part de superstition est vraisemblablement venue s’ajouter dès que l’observation précise et objective a été délaissée au profit de l’adoption aveugle de règles traditionnelles. Le passage de la transmission orale au texte écrit a peut-être aussi apporté quelques distorsions.
Trois types de règles forestières
Pour la détermination de la «bonne date d’abattage», on constate dans les relevés historiques ou dans les mentions orales actuelles trois types de règles :
-
les règles selon les « phases de la Lune », soit le 1ythme lunaire synodique, dont la période est de 29,531 jours. Ce rythme mesure le passage d’une nouvelle Lune à la pleine Lune (phase «croissante») pour parvenir à la nouvelle Lune suivante (phase «décroissante») (figure 1). À l’échelle journalière, il s’observe dans le mouvement des marées, dont la période principale est de 24,8 heures ─ mais ce mouvement n’est que rarement mentionné dans les traditions. Le seul cas actuellement connu concerne la coupe du bambou Phyllostachys aurea ( Carr.) M. Riv., en Équateur: afin de déterminer les heures de marée basse favorables à la conservation du bambou, les paysans de l’intérieur des terres coupent une «liane à eau» qui, à ces moments précis, ne montrerait aucune exsudation (Moran Ubidia, 2003) ; - les règles selon le cycle de la « Lune montante» et de la «Lune descendante » par rapport à l’horizon terrestre, soit le rythme lunaire tropique. Ce rythme, moins visible pour l’observateur, concerne la hauteur de la trajectoire lunaire par rapport à l’horizon, variant de façon systématique. Chaque année, à treize ou quatorze reprises, la hauteur de cette trajectoire augmente, puis la tendance s’inverse pour la seconde moitié du mois tropique, dont la période est de 27,32158 jours. Une confusion est possible: l’expression «Lune montante/descendante» est parfois utilisée pour «Lune croissante/décroissante» , alors que les périodes de ces deux cycles diffèrent de 2,21 jours. Ces deux rythmes coïncident toujours vers la fin décembre, la pleine Lune ou la nouvelle Lune ayant lieu respectivement au passage culminant ou au passage le plus bas de la trajectoire tropique ;
- les règles selon les constellations, ou «signes» du zodiaque, dans lesquelles se trouve la Lune. C’est un troisième niveau d’influence, cité depuis toujours, certains documents, comme les écrits manichéens, remontant à l’époque perse (Schmidt, 1940). Ce rythme lunaire sidéral, dont la période est très proche de celle du rythme tropique, se rapporte aux constellations du zodiaque devant lesquelles la Lune passe durant sa révolution autour de la Terre. Le retour à une constellation donnée a lieu après 27,32166 jours. Une source d’erreur dans le long terme provient du fait que les constellations astronomiques observées à une date donnée de l’année varient insensiblement en raison du lent mouvement giratoire (précession) de l’axe de la Terre.
Des pratiques bien vivantes
Aujourd’hui encore, des règles d’abattage liées à la Lune sont appliquées par certains artisans du bois. Notre objectif n’est pas de traiter des multiples «calendriers lunaires», actuellement très en vogue, couvrant de nombreux domaines de façon trop absolue, sans bases expérimentales. Les exemples qui suivent concernent des cas directement connus de l’auteur, ou issus de sources scientifiquement vérifiées ; ils visent à illustrer toute la variété des utilisations du bois dans lesquelles le facteur Lune est considéré comme important pour l’obtention de qualités ou de propriétés exceptionnelles. Il faut préciser que, dans la plupart des cas, ce facteur ne vient qu’en deuxième ou troisième position, après la période de l’année, avec une haute valeur attribuée au «bois d’hiver», et le site, c’est-à-dire les conditions de croissance, le bois de montagne issu de peuplements naturels à croissance lente étant particulièrement apprécié. Parfois, il est fait mention de vents (par exemple le foehn dans les Alpes) qui auraient un effet négatif sur certaines qualités du bois.
Bois de construction
Les qualités principales requises ici sont la résistance mécanique (en contrainte de pression, traction ou flexion) et la durabilité face aux champignons et aux insectes. Une règle française stipule: «Bois tendre en cours, bois dur en décours».
Bardeaux et tavillons
Il s’agit de planchettes de différentes dimensions utilisées comme des tuiles pour couvrir des toits ou des façades, ce qui les expose particulièrement aux intempéries et donc à la pourriture. Le type de bois approprié ne peut être fourni que par des essences ayant fait leurs preuves, comme le chêne, le châtaignier ou le mélèze. Citons également l’épicéa et le sapin, que certains tavillonneurs abattent à des phases lunaires particulières afin d’obtenir un matériau séchant rapidement après chaque pluie.
Cheminées
Dans certaines régions d’Europe centrale, le bois a même longtemps été utilisé pour la construction de cheminées, qui servaient également à fumer la viande. Pour cet usage aussi il se trouve des règles d’abattage «lunaires» supposées fournir du bois difficilement inflammable.
Bois de feu
Encore couramment appliquée, dans le Jura par exemple, la règle mentionnée par Olivier de Serres (1600) conseille: «Le poinct de la lune est remarquable, pour en croissant tailler le bois de chauffage, et en décours, celui des bastimens. » On notera qu’il s’agit dans ce cas d’obtenir une bonne combustibilité plutôt qu’une grande dureté ou une forte résistance aux agents de destruction.
Bois de résonance
Jusque dans la plus prestigieuse forme d’utilisation comme «bois de résonance» pour la construction de violons, de guitares ou de pianos, la date d’abattage en fonction de la Lune constitue l’un des secrets de l’art de maint luthier.
Fûts et barriques
Selon les observations des artisans, les douves de chêne les plus étanches ne s’obtiennent pas à n’importe quelle saison de l’année ni à n’importe quelle phase de la Lune.
Bambous
Des traditions largement répandues en Amérique du Sud (Colombie, Équateur, Brésil) ainsi qu’en Inde font appel au calendrier lunaire pour couper des bambous (Graminées géantes) afin qu’ils soient capables de résister aux insectes ravageurs.
Flottage
Plusieurs sources traditionnelles indépendantes mentionnent le fait que non seulement les propriétés du bois, mais aussi la façon dont les grumes vont flotter sur les rivières varient selon les périodes de la Lune.
Défis pour la recherche
Face à ces traditions et à ces pratiques issues du monde forestier ─ l’agriculture pourrait en livrer d’autres analogues ─, surprenantes au premier abord vu l’état actuel de nos connaissances, le monde scientifique se sent interpellé. Le chercheur se voit placé devant le défi d’examiner de façon objective et critique s’il n’existe pas un noyau de vérité dans cet «ancien savoir», si des phénomènes et processus réels ne se cachent pas derrière les expériences des praticiens. Les faits réels doivent être différenciés des superstitions, puis quantifiés; il faut être prêt à remettre en question et à élargir certaines de nos théories actuelles. En cas de confirmation, même partielle, de certains phénomènes, nous nous verrions enrichis de tout un trésor résultant du contact millénaire de l’homme avec la nature et nous offrant autant d’hypothèses de travail et de développements possibles. La situation est analogue à celle de la recherche pharmaceutique, guidée par les savoirs des praticiens traditionnels, d’une spécificité et d’une efficacité souvent étonnantes.
En fait, cette démarche a déjà été entreprise un certain nombre de fois dans le cadre de la méthodologie scientifique moderne pour ce qui est des plantes annuelles; les chercheurs ont parfois été placés de façon inattendue devant des rythmicités lunaires. Le potentiel d’innovation reste néanmoins à communiquer à la communauté scientifique et aux utilisateurs spécifiques.
La discipline étudiant les structures temporelles des organismes se nomme la chronobiologie. Elle se penche sur toutes les manifestations rythmiques des processus vitaux, c’est-à-dire, en plus des rythmes lunaires, les rythmes journaliers et annuels, ceux de l’ordre de l’heure ou de la minute concernant par exemple notre système digestif, ou ceux, à plus haute fréquence encore (jusqu’au niveau de la milliseconde), prévalant dans notre système nerveux. La chronobiologie s’est considérablement développée au cours des cinquante dernières années, et elle s’est spécialisée dans différentes directions. La chronophysiologie décrit et analyse la configuration des processus rythmiques de différentes fonctions de l’organisme et l’action qu’exercent sur elle les facteurs environnementaux. La chronopharmacologie analyse les effets chronobiologiques des médicaments. On distingue par ailleurs dans la médecine moderne la chronopathologie, la chronotoxicologie, la chronothérapie et la chronohygiène. Le cycle lunaire principal, synodique, se subdivise en sous-rythmes liés au phénomène des marées et dus à la rotation quotidienne de la Terre. On distingue :
Les rythmes lunaires en biologie : une vue d’ensemble
Endres et Schad (1997) démontrent la réalité des périodicités lunaires dans le monde des plantes annuelles, en biologie animale et chez l’être humain. Une série de plus de 600 espèces, principalement animales, révélant ce type de rythme, vérifiée expérimentalement et publiée dans la littérature scientifique, illustre la complexité des phénomènes chronobiologiques impliqués et pose la question de la nature fondamentale du temps. Engelmann, dans Rhythms of Life (2004), cite les ouvrages de Pearse (1990) et de Palmer (1995) comme étant de bonnes références sur les rythmes liés aux marées, ceux de deux semaines et d’un mois.
Alors que chez les Cyanophyceae aucun rythme périodique lunaire n’est signalé, ce qui est probablement lié à leur cycle de vie trop court par rapport aux rythmes lunaires, 45 espèces de Thallophytes sont répertoriées jusqu’en 1996, ainsi que 40 espèces d’Angiospennes.
Toutes les cellules et tous les organismes eucaryotes oscillent en général entre facteurs exogènes et facteurs endogènes grâce à leur horloge interne fondée sur des interactions entre le noyau et le cytoplasme. En 1938, Bracher découvre que, clans les vases de la côte est de l’Angleterre, le protiste Euglena limosa procède à des migrations non seulement journalières ou circadiennes, mais aussi selon une rythmicité lunidienne de période 24 ,8 heures, ce qui lui permet d’apparaître en surface seulement de jour et en basses eaux. Cette espèce unicellulaire à noyau distinct dispose du mouvement – grâce à des flagelles – , de l’assimilation chlorophyllienne et d’un œil rudimentaire. Cela met en évidence le fait que le facteur rythmique lunaire, comme le facteur solaire (photopériodique), constitue un continuum englobant de nombreuses formes vivantes, tant végétales qu’animales.
Périodicités lunaires dans la germination, la croissance et la fructification des plantes annuelles
L’une des premières recherches menées selon des critères scientifiques est due à Semmens (1923), et elle a été précisée en 1947 dans Nature. La chercheuse mentionne une germination des graines de moutarde Sinapis sp. fortement accélérée par l’effet de la lumière lunaire. Elle établit de façon expérimentale une relation entre ce phénomène et la nature polarisée de cette lumière du fait de sa réflexion, polarisation plus marquée lors de certains moments du cycle. Ce type de lumière accentue le processus de décomposition des grains d’amidon par la diastase, une enzyme mobilisant par hydrolyse cette substance de réserve.
Au moyen d’essais en laboratoire extrêmement complets s’étendant de 1927 à 1935, Kolisko mit en évidence des variations de la croissance des plantes en fonction du rythme synodique lunaire. Les graines d’espèces maraîchères et florales – laitue Lactuca sativa, chou blanc Brassica oleracea, poireau Allium porrum, tomate Lycopersicon esculentum, petit pois Piswn sativum, haricot Phaseolus vulgaris, livèche Levisticum officinale, achillée Achillea millefolium, mélisse Me lissa officinalis, aconit Aconitum napellus – et de céréales – maïs Zea mays, blé Triticum sp., avoine Avena saliva, orge Hordeum vulgare – semées deux jours avant la pleine Lune eurent une meilleure germination, une croissance plus forte, formèrent des inflorescences plus nombreuses et fournirent une meilleure récolte que les graines semées deux jours avant la nouvelle Lune. Certaines séries expérimentales montrèrent un changement abrupt lorsqu’on passait de la période idéale, environ deux jours avant la pleine Lune, au jour exact de la pleine Lune, ce qui révèle une forme de déphasage entre le parcours visible de notre satellite et son effet sur la germination. Kolisko travaillait avec un matériel très homogène et avait suivi pour le choix des dates les suggestions de Rudolf Steiner, fondateur de la méthode d’agriculture biodynamique, pratiquée avec un succès grandissant depuis plus de quatre-vingts ans (Steiner, 1924).
Il était devenu évident que la phase lunaire exacte au moment du semis joue un rôle important pour l’ensemble du cycle végétal qui s’ensuit : germination, croissance, floraison et fructification. Ce rôle se superpose à celui de la saison, correspondant à la relation astronomique Terre-Soleil. Ces périodicités furent confirmées, mais également différenciées à diverses reprises, par exemple par Voegele (1930) avec plusieurs céréales testées en extérieur, la différence maximale apparaissant entre les semis de deux à cinq jours avant la pleine Lune et ceux de deux à trois jours après la pleine Lune.
La reprise d’essais de semis selon Kolisko fut l’œuvre de Popp (1933), avec différentes variétés de pommes de terre Solanwn tuberosum, du haricot, du maïs et de l’échalote Allium ascalonicum. La pomme de terre montra des rendements supérieurs dans les séries plantées vers le dernier quartier et la nouvelle Lune, alors que les échalotes eurent leur production maximale clans les séries du premier et du dernier quartier. L’auteur déclara malgré tout que l’influence lunaire était extrêmement improbable ( « hôchst imwahrscheinlich » ), tout en admettant des défauts méthodologiques, ce qui laisse entrevoir le rôle des a priori et des idées préconçues dans la recherche touchant à ce thème. Dans une expérimentation ultérieure, Popp (1936, 1937) constata à nouveau pour le maïs des différences marquées, mais opposées cette fois à celles obtenues par Kolisko.
En revanche, Opitz (1936) obtint des productions d’orge supérieures pour les semis en Lune croissante par rapport à ceux en Lune décroissante, les dates comparées n’étant espacées que d’un jour. Un résultat analogue est mentionné avec le seigle, Secale cereale, par Breda (1960), l’analyse par moyennes mobiles révélant des rendements plus élevés pour les semis de pleine Lune que pour ceux de nouvelle Lune.
Les essais systématiques de longue haleine entrepris par Maria Thun permettent, selon elle, de classer la stimulation ou le style de croissance des plantes en 4 types différents ─ racine, tige, feuille, fleur-fruit ─ en fonction de la position de la Lune dans le zodiaque (cycle sidéral) lors du semis. Les résultats, qui ne font malheureusement pas l’objet de publications selon les standards scientifiques actuels, mènent cette chercheuse à éditer annuellement un « Calendrier des semis».
Abele (1973, 1975) atteste, avec la carotte, l’orge d’été, l’avoine et le radis, le bien-fondé des concepts de Maria Thun et confirme partiellement la différenciation mentionnée ci-dessus.
Spiess (1994), sur une durée expérimentale de terrain de cinq ans, partiellement six ans, confirme statistiquement des variations lunaires dans le cas de plantes annuelles cultivées – seigle d’hiver, radis, carotte, pomme de terre, haricot et moutarde. De plus, il met en lumière quatre spécificités intéressantes :
- un rythme de variation rarement mentionné dans les dictons traditionnels joue également un rôle, lié à la révolution anomalistique de période de 27,6 jours, due à la forme elliptique et décentrée de la trajectoire lunaire. Ainsi, la Lune passe alternativement et à des vitesses variables à proximité de la Terre ─ le périgée ─ puis à une distance maximale ─ l’apogée. Pour toutes les espèces testées, les semis en période de périgée montrent une réaction significativement positive par comparaison avec les autres périodes de semis, une fois l’effet saison (annual trend) éliminé mathématiquement ;
- une influence du rythme synodique (phases lunaires) apparaît pour toutes les espèces étudiées, avec une différence marquée entre la phase croissante et la phase décroissante. Le sens de cette différence est néanmoins spécifique: alors que la carotte a les rendements maximaux pour les semis trois jours avant la pleine Lune, ceux-ci sont minimaux pour la pomme de terre plantée entre le premier quartier et la pleine Lune. Cela confirme les résultats de Kolisko sur la carotte, et ceux de Popp (1933) sur la pomme de terre ;
- le rythme tropique, celui qui fait alterner Lune montante et Lune descendante, n’influence que certaines espèces : le haricot y est le plus sensible (avec un nombre de gousses maximal pour les semis en culmination ─ Lune en constellation des Gémeaux), suivi du radis et de la carotte ;
- on observe des différences évidentes dans les récoltes en fonction du rythme sidéral, selon 12 positions de la Lune dans le zodiaque. Spiess relève néanmoins que ces différences pourraient aussi être expliquées par les trois premiers rythmes cités ; le regroupement opéré par Thun en 4 types de croissance selon le zodiaque ne peut être confirmé au moyen de cette méthode. Cette analyse sera faite par la suite avec un résultat positif par Kollerstrom et Staudenmaier (2001), dans une réinterprétation des données de Spiess.
De façon analogue, les essais de Fritz (1994) montrent une germination du radis plus rapide pour les semis de deux jours avant la pleine Lune (rythme synodique). Par l’emploi de plaques de verre transparentes ou opaques posées sur les semis, l’auteur met statistiquement en évidence l’effet de la lumière lunaire sur le développement de la surface foliaire ou sur le rapport entre tige et racine.
Milton (1974), dans une thèse passée pratiquement inaperçue, illustre pour le cas du maïs la complexité des variations synodiques lunaires par le biais de la mesure du développement de la jeune pousse ( coléoptile) une semaine après le semis. Des séries de semis journaliers en laboratoire mettent en évidence une rythmicité hebdomadaire, par quartiers lunaires, dans laquelle le maximum situé avant la pleine Lune contraste d’une part avec le minimum, situé entre le troisième quartier et la nouvelle Lune, et d’autre part avec les minima du moment exact du premier quartier et de la pleine Lune (figure 2). Ces variations systématiques à courte période expliqueraient l’apparente divergence entre les résultats de Kolisko et ceux de Popp pour le maïs.
Quelques années auparavant, Millet (1970) avait mis en évidence la complexité des rythmes d’élongation de la tige de fève (Viciafaba), pour laquelle on peut déceler simultanément au moins 5 rythmes de périodes différentes.
Citons enfin pour les plantes annuelles des variations lunaires rythmiques à l’échelle mensuelle, décelées par Graviou (1977), dans la croissance en longueur des racines du cresson (Lepidiwn sativwn) maintenu à température et obscurité constantes, au cours des premières soixantedouze heures après la germination.
La germination et la croissance initiale de certains arbres
Une pépinière forestière située en zone tropicale, au Rwanda, offrit des conditions intéressantes pour des expériences sur la germination et la croissance initiale d’essences ligneuses en fonction du facteur lunaire, les températures et les durées du jour étant moins sujettes aux variations qu’à hautes latitudes et les saisons sèches pouvant être compensées par des arrosages. Les travaux eurent lieu sur une durée de trois ans: essai préliminaire, essai principal avec 12 semis à 4 répétitions de 50 graines, enfin essais de contrôle et complémentaire. Les semis de l’essai principal eurent lieu deux jours avant la pleine Lune, alternant avec des semis deux jours avant la nouvelle Lune, en référence aux travaux de Kolisko déjà mentionnés (Zürcher, 1992).
Pour le musizi, Maesopsis eminii, une Rhamnaceae africaine croissant du Liberia au Kenya, la vitesse et le taux de germination ainsi que les valeurs moyennes et maximales de la croissance dans les premiers mois varient de façon clairement rythmique, avec des valeurs comparativement supérieures pour les semis juste avant la pleine Lune.
Un essai indépendant effectué cinq ans plus tard en Afrique de l’Ouest selon la même méthode sur 4 essences de zones sèches – Sclerocarya birrea, Adansonia digitata, Af zelia africana et Detariwn microcarpwn – confirme cette rythmicité, mais essentiellement au stade de développement de deux mois après le semis (Bagnoucl, 1995).
Il est important clans ce type d’essai de travailler avec beaucoup de précision en ce qui concerne le choix de la date: près des moments favorables entre le premier quartier et la pleine Lune, le moment exact de la pleine Lune fournit dans un essai complémentaire avec Maesopsis eminii des résultats parfois inférieurs à ceux de deux jours avant la nouvelle Lune, ce qui rejoint les observations de Milton pour le maïs. Il convient pourtant d’éviter de se faire une image schématique de cette concordance entre rythmes végétaux et cycles lunaires. En effet, certaines essences peuvent montrer un comportement opposé et répondre positivement à un semis avant la nouvelle Lune (Acacia melanoxylon et Sesbania sesban), ce qui rappelle le comportement de la pomme de terre observé par Popp, et plus tard par Spiess. Ces premiers résultats positifs concernant des essences forestières démontrent néanmoins l’importance que peut avoir la «chronobiologie lunaire» pour la gestion de pépinières visant à la production d’arbres vigoureux.
Un essai contradictoire revisité
Dans sa brève revue des recherches sur les rythmes lunaires dans le monde végétal, Beeson (1946) appuie son avis général plutôt sceptique sur les travaux de Rohmeder (1938), effectués avec un préjugé visiblement très critique. Ces travaux avaient pour but de tester les phénomènes récemment révélés par Kolisko. L’expérimentation eut lieu de façon très méticuleuse avec un stock de graines d’épicéa, Picea abies, à haut pouvoir germinatif et de qualité homogène, au cours des années 1936 (quatre mois) et 1937 (sept mois), sous la forme de 87 séries à 1200 graines, soit en tout 104 400 graines, dont la vitesse et le taux de germination furent déterminés après sept, dix, quatorze et vingt et un jours. Par mois synodique lunaire, 8 dates furent retenues pour les semis: le premier quartier, la pleine Lune, le dernier quartier, la nouvelle Lune, ainsi que le premier croissant, la phase gibbeuse croissante, la phase gibbeuse décroissante et le dernier croissant (figure 1). Les variations ayant eu lieu chaque année dans une fourchette relativement étroite, l’effet du vieillissement des graines clans la longue série de 1937 ayant été plus fort que l’effet «Lune», et les courbes représentant le taux de germination en fonction des dates de semis «lunaires» ayant présenté des parcours parfois divergents, l’auteur est amené, sans aucune analyse statistique (pas encore d’usage à l’époque ?), à la conclusion définitive que ces essais «ne fournissent aucun argument indiquant que le changement des phases lunaires puisse influencer la germination des graines d’épicéa».
Si nous appliquons aujourd’hui, soixante-neuf ans plus tard (Zürcher, 2008), une analyse statistique de variance pour les données regroupées des deux années d’essais, nous obtenons pour les taux de germination autour de la moyenne générale une fourchette de variation effectivement étroite, mais des différences clairement significatives (figure 3). Ces différences nous ramènent à la question initiale relative aux résultats de Kolisko, puisque, entre autres, les semis d’avant la pleine Lune apparaissent maintenant significativement supérieurs ─ de 2,8 % ─ à ceux d’avant la nouvelle Lune et, de plus, significativement supérieurs à ceux du jour exact de la pleine Lune, du premier croissant et du premier quartier.
Les résultats de Kolisko trouvent ici une confirmation tardive pour une essence forestière de premier ordre, de même que ceux qui concernent Maesopsis eminii, où une chute abrupte de la croissance initiale pour les semis du jour de la pleine Lune avait été constatée.
Rythmes lunaires en cytologie, en physiologie et en morphologie
Les variations dans la germination, la croissance et la fructification des plantes établies en lien avec les cycles lunaires ont à leur source ─ ou s’accompagnent de ─ divers phénomènes intéressants, énumérés ici tout d’abord pour les plantes herbacées comme autant de pistes de recherche prometteuses.
- Des analyses de l’ADN et de l’activité mitotique de tissus de pomme de terre cultivés en laboratoire (Rossignol et al., 1990, 1998) révèlent des variations au cours du cycle synodique. Une structure de l’ADN liée à l’accumulation d’hydrates de carbone se développe à la nouvelle Lune, une structure propre à la croissance et à la floraison étant plus marquée à la pleine Lune. L’activité mitotique est maximale au premier et au dernier quartier, en alternance avec des minima à la pleine et à la nouvelle Lune. Par rapport à ce rythme, les chercheurs observent certains types de cellules se reproduisant à contretemps.
- Diverses algues suivent dans leur reproduction des périodicités lunaires (Endres et Schad, 1997), qui s’exprime par exemple au niveau du taux d’acide alginique dans l’algue brune Fucus virsoides (Lausi et De Cristini, 1967). De façon analogue, les cytokinines, un groupe d’hormones végétales de croissance, fluctuent avec des maxima à différentes phases lunaires dans les algues Echlonia maxima et Sargassum heterophyllwn (Hofmann et al., 1986).
- Sur des plantes testées de jour en jour, comme le haricot, Phaseolus vulgaris, Philodendron sagîttifolium ou Geranium sp., Rounds (1982) décèle une périodicité semi-lunaire dans la synthèse de l’acétylcholine ou de la noradrénaline, qui se laissent mesurer par l’effet sur le rythme cardiaque de la grande blatte américaine Periplaneta americana. Ces observations illustrent le fait que le moment de la récolte des plantes médicinales joue un rôle sur leur effet pharmacologique. Cela suggère une fois de plus le bien-fondé de certaines pratiques traditionnelles relatives aux cycles lunaires ayant eu cours dans des monastères produisant ce type de plantes.
- Une réinterprétation d’anciens relevés systématiques du mouvement des feuilles du haricot sabre, Canavalia ensifonnis, en milieu constant – dans la ligne des travaux du fondateur de la chronobiologie E. Bünning – permet à P. Barlow, par le calcul des marées gravimétriques correspondantes, de mettre en évidence un rythme tidal clairement marqué (Préface à Klein, 2007).
- Les variations des échanges gazeux constatées par Graviou (1978) sur des graines de tomate en dormance apparente, maintenues dans des conditions de lumière et de température constantes, avaient montré des maxima d’absorption d’oxygène à la pleine Lune et à la nouvelle Lune. Ce résultat se place dans la lignée de la découverte faite par Brown et ses collaborateurs (1954, 1955, 1962, 1965), selon laquelle la pomme de terre et la carotte suivent un rythme synodique lunaire dans leur respiration, la consommation d’oxygène pour la carotte étant maximale au troisième quartier et à la nouvelle Lune, minimale à la pleine Lune. À ce rythme mensuel se superpose chez la pomme de terre un rythme lunaire journalier lunidien : des relevés en laboratoire menés sur dix ans en conditions constantes d’obscurité montrent un maximum au lever de la Lune et à sa culmination, mais cela seulement de septembre à février, et non le reste de l’année. Graviou (1978) a trouvé par la suite un tel rythme dans la respiration des graines de tournesol Heliantlrns anmms.
- Des essais en laboratoire avec le cresson Lepidium sativwn L., portant sur une durée de trois ans, ont permis à Maw (1967) d’établir que la croissance était accélérée en hiver à la nouvelle Lune et ralentie à la pleine Lune pour des plantes soumises à une atmosphère ionisée négativement, alors que ces effets se montrent en été au premier et au dernier quartier. En revanche, une ionisation positive ne laisse observer aucune périodicité de cet ordre. L’air pollué des villes étant ionisé positivement comparé à l’air pur d’un milieu forestier, Plaisance (1985) avait ouvert de multiples perspectives sur les bienfaits de l’ionisation négative de l’atmosphère forestière pour le corps et l’esprit. Peut-être cela est-il dû à un effet plus marqué des rythmes lunaires ?
- Il est vraisemblable que les différences rythmiques dans la vitesse et le taux de germination soient liées à des variations cycliques dans l’absorption d’eau par les graines, comme l’ont démontré Brown et Chow (1973) sur la base d’un impressionnant matériel d’expérimentation (7 931 séries de 20 haricots). Les graines immergées jour après jour dans l’eau pendant quatre heures sont imbibées selon un cycle lunaire synodique circaseptan (période de 7,4 jours). Il est remarquable que les variations d’absorption observées au cours d’une demi-semaine lunaire soient si considérables, pouvant atteindre 20 % : cela suggère qu’il pourrait s’agir de variations des propriétés de l’eau, dont les fluctuations avaient déjà été découvertes expérimentalement. Par des séries de réactions chimiques standardisées (tests de précipitation du chlorure de bismuth), Piccardi et Cini (1960) avaient mis ce phénomène en évidence lors de travaux s’étendant sur plus de trente ans. Le phénomène avait déjà été vérifié par Burkard (1955), avec la mise en évidence du rôle des variations de la pression atmosphérique, dont on sait qu’elles sont rythmées par les cycles de la Lune, d’où l’expression« marées atmosphériques». Il fut par la suite analysé statistiquement par De Meyer et Capel-Boute (1987) sur la base de longues séries complémentaires. Les variations d’absorption d’eau par des graines selon des rythmes synodiques, quant à elles, purent être confirmées par Innamorati et Signorini (1980), puis par Spruyt et al. (1987), s’ajoutant à une variation saisonnière. Curieusement, ces derniers auteurs, sur la base de 25 lunaisons (deux ans) avec tests d’immersions journalières en conditions de laboratoire constantes, obtiennent également une rythmicité lunaire « circaseptane », mais déphasée par rapport à celle de Brown et Chow (1973) (figure 4).
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Abrami (1972) montre un autre phénomène d’influence de la croissance des plantes à caractère périodique lunaire. Ses recherches, menées en conditions extérieures, concernent le rôle du facteur température sur l’élongation de la tige de 7 espèces herbacées annuelles sauvages: perce neige Galanthus nivalis, corydale Corydalis cava, anémone sylvie Anemone nemorosa, consoude Symphytum tuberoswn, ail des ours Alliwn iirsinum, égopode Aegopodium podagraria, campanule Campanula rapunrnloides. Évidemment, la croissance est plus faible par temps froid et plus forte par temps chaud; il découle en revanche de ces travaux que la corrélation entre ces deux variables fluctue de façon périodique et différemment selon les espèces, selon des rythmes de 29,5, 14,7, 9,7 et 7,3 jours. Ainsi, la vitesse de croissance de la campanule dépend davantage de la température en phase de nouvelle Lune qu’en phase de pleine Lune en mars, avril et mai. Concernant le facteur lumière, et contrairement aux observations de Semmens (1923), Kolisko et Kolisko (1939/1953) avaient constaté dans des essais de germination menés à différentes profondeurs du sol que les rythmicités synodiques lunaires se maintenaient. Cela signifierait qu’un facteur complémentaire à la lumière polarisée serait également à l’œuvre. Les plantes ligneuses révèlent également dans leur physiologie des phénomènes à caractère rythmique en lien avec la Lune.
- Une étude de la chimie végétale secondaire visant à tester une phytopratique indigène d’Amérique centrale, selon laquelle la récolte des feuilles pour la confection de toits a lieu en fonction des phases lunaires, fut réalisée par Vogt et al. (2002). Des différences significatives dans la teneur en carbone, sous différentes formes, la teneur en calcium et la fraction hémicellulose pourraient, selon ces auteurs, expliquer les durabilités supérieures en phase de pleine Lune. Parmi les trois espèces de feuilles analysées ─ Prestoea montana, Heliconia caiibea et Palicourea lipalia ─, on observe néanmoins des différences marquantes. Notons que les périodes intermédiaires qui se sont révélées intéressantes dans d’autres études, comme les jours entre le premier quartier et la pleine Lune, n’ont pas été prises en considération ici.
- La reprise par un groupe pluridisciplinaire de résultats de travaux déjà publiés sur les variations du diamètre d’arbres maintenus en conditions constantes permit de montrer l’existence d’un rythme synodique lunaire au niveau journalier, correspondant aux marées gravimétriques. Outre le cycle photo-thermopériodique de 24 heures connu pour la plupart des processus physiologiques sous l’influence du Soleil, il apparaît que le fût des arbres change de diamètre selon un cycle lunaire de période de 24,8 heures à caractère latent (Zûrcher et al., 1998). Cela soulève la question des processus menant à ces fluctuations réversibles du diamètre, en suggérant une alternance clans la teneur relative en eau de la paroi cellulaire par rapport au cytoplasme.
- Ce dernier phénomène à caractère lunaire vient de trouver une belle confirmation et de recevoir un éclairage complémentaire, clans la lignée des travaux de Burr (1944, 1945, 1947, 1972): Holzknecht (2002) présente un dispositif de mesure des potentiels bioélectriques d’arbres sur pied extrêmement sensible, appliqué à l’épicéa, Picea abies, ainsi qu’à !’arole ou pin cembro, Pinus cembra, qui permet de mettre en évidence des rythmes en phase avec les marées gravimétriques journalières ainsi qu’avec le cycle synodique lunaire mensuel, lorsque les arbres sont en repos végétatif, en saison hivernale. En revanche, la période ordinaire de 24 heures liée au soleil prédomine lorsque les arbres sont en croissance (Holzknecht et Zürcher, 2006).
Contrairement à la pomme de terre (Rossignol et al., 1990, 1998), chez l’épicéa l’activité mitotique de tissus polyembryonnaires maintenus en conditions constantes de laboratoire passe par des maxima à la pleine et à la nouvelle Lune et par des minima au premier et au dernier quartier (Vlasinova et al., 2003-2004).
La danse cosmique des bourgeons
Des rythmes lunaires au niveau de la forme, analogues à ceux liés aux diamètres des arbres décrits plus haut, avaient déjà été découverts par Eclwarcls (1982, 1993) grâce à de méticuleuses séries d’observations, par photographie, de bourgeons d’arbre. À l’aide d’un facteur de forme développé en géométrie projective, chaque bourgeon, qu’il soit sphérique, elliptique ou ovoïde plus ou moins allongé, peut être caractérisé par un paramètre unique lambda (λ). Cette forme, donc le paramètre correspondant, ne change pas seulement radicalement au moment du débourrement, mais varie subtilement autour de la valeur caractéristique tout au long de la période précédente, depuis la formation. Le phénomène consiste en une élongation et une relaxation rythmiques des bourgeons tout au long de l’hiver, comme s’il s’agissait d’une respiration, ou d’un subtil battement de cœur, signalant déjà de légers mouvements d’ouverture et de fermeture. Edwards montre en outre que cette fluctuation de la forme a lieu pour certaines espèces de façon synchrone avec la position de la Lune par rapport au Soleil (rythme synodique), mais pour d’autres en fonction de l’alignement de la Lune avec certaines planètes, Saturne pour le hêtre Fagus sylvatica, Mars pour le chêne Quercus sp.
Pour le gui Viscum album, hémiparasite ligneux de certains feuillus et résineux, l’analyse avec le paramètre de forme selon Edwards fut appliquée aux baies translucides (Flückiger et Baumgartner, 2002; Baumgartner et Flückiger, 2004). Les mesures des baies récoltées au cours de six années, entre 1991et2001, révélèrent des fluctuations réversibles dans une amplitude allant de 1 = 0,8 à 1 = 1,2. Ces variations sont corrélées significativement avec la position de la Lune par rapport aux constellations fixes du zodiaque (rythme sidéral). Ces résultats concordent avec les limites entre les constellations mentionnées dès l’Antiquité, et avec leurs regroupements mentionnés au sujet des travaux de M. Thun.
Dates d’abattage et propriétés du bois
Pour en revenir aux traditions forestières et aux règles concernant les dates d’abattage selon la saison et les cycles lunaires, nous abordons un domaine lié à une méthode particulière, puisque la recherche doit travailler ici avec des arbres entiers.
Le choix des échantillons à tester et à analyser doit avoir lieu à la fois dans l’aubier encore partiellement vivant et dans le bois de cœur, ou «bois parfait», beaucoup plus sec, ne possédant plus de cellules actives et constituant l’essentiel du volume du fût pour les arbres adultes.
Nous avons donc affaire à des phénomènes ou processus d’ordre en majeure partie physique, et partiellement biologique pour ce qui est des échantillons d’aubier.
À part les recherches sur le bambou Dendrocalamus strictus de Beeson et Bhatia (1937), indiquant une teneur en eau qui augmente de la pleine Lune à la nouvelle Lune et diminue de la nouvelle Lune à la pleine Lune, ce n’est que récemment que la question de l’influence sur les propriétés du bois de la date d’abattage en fonction de la Lune a été traitée scientifiquement (Triebel, 1998; Seeling et Herz, 1998; Seeling, 2000; Bariska et Rôsch, 2000; Zürcher et Mandallaz, 2001).
Il s’agit de trois recherches ayant eu lieu chacune sur la base de 6 dates ponctuelles, supposées représenter 3 abattages «favorables» alternant avec 3 abattages «défavorables». Le nombre d’épicéas était respectivement de 120, 60 et 30. Les points de vue des auteurs restèrent divergents quant au traitement statistique et à l’interprétation des résultats, bien que les variations de densité après séchage fussent concordantes (Zürcher et Mandallaz, 2001). Afin de traiter la question de façon plus fondamentale et sur une plus large base de données, un nouvel essai fut réalisé simultanément sur 4 sites de Suisse, avec 48 abattages successifs (chaque lundi et chaque jeudi) – non liés à une hypothèse expérimentale de départ – de 3 arbres par site sur une durée de 5,5 mois, ce qui représenta un total de 621 arbres abattus au cours de l’hiver 2003- 2004. Les essences étaient l’épicéa, Picea abies, et le châtaignier, Castanea sativa. Chaque arbre fournit à différents niveaux du fût une série d’échantillons d’aubier et une série d’échantillons de bois parfait. Ce matériel fut suivi dans son comportement au séchage en conditions standardisées. Parmi les différentes rythmicités observées et statistiquement confirmées pour trois critères principaux, mentionnons la perte en eau, qui varia chez l’épicéa systématiquement entre les abattages précédant immédiatement la pleine Lune et ceux qui la suivaient (Zürcher et al., en préparation). Ce type de variation est probablement dû non pas à des différences de teneur en eau initiale, mais au fait que les forces liant l’eau à la paroi cellulaire des tissus ligneux seraient sujettes à des fluctuations. Le rapport entre l’eau aisément extractible du bois, désignée comme «libre», et celle extraite en dessous du point de saturation des fibres, ou eau «liée», fluctue en fonction des cycles lunaires, et probablement aussi selon les saisons. Par ailleurs, les rythmicités apparaissent ici encore de manière différente selon les essences.
L’analyse statistique indique de façon inattendue non seulement différents rythmes d’ordre synodique, mais également une rythmicité sidérale marquée. La recherche est donc en mesure de supposer qu’à la base des phytopratiques «lunaires» des forestiers réside un noyau d’observations objectives.
Implications et perspectives
Cet aperçu sur les cycles lunaires décelés dans le monde végétal montre un phénomène réel, qui s’ajoute aux rythmes exogènes principaux d’origine solaire dont l’action est bien connue, au niveau tant journalier que saisonnier, et, au-delà, en liaison avec le cycle d’activité des taches solaires, variant autour d’une période de onze ans. La Lune module ce rythme exogène principal au niveau horaire, les marées gravimétriques ayant lieu avec deux flux et reflux par jour, ainsi qu’au niveau de la semaine et du mois lunaire, selon le cycle synodique, tropique, sidéral ou anomalistique avec périgée et apogée. Il semble que les rythmes lunaires deviennent apparents lorsque l’influence du Soleil passe en retrait, que ce soit de façon naturelle ou grâce à un dispositif expérimental.
La question se pose de la nature des forces entrant en jeu. En ce qui concerne les rythmes synodique et anomalistique, la force gravitationnelle provoquant les marées est trop faible pour expliquer ne serait-ce qu’une partie des phénomènes lunaires observés au niveau des plantes: elle ne dépasse pas 0,8 dix millionième de la force exercée par la pesanteur sur une masse située à la surface de la Terre (Baillaud, 2004).
Pour le plus grand arbre mesuré en Europe (Klein, 1908), un sapin pectiné Abies alba de la Forêt-Noire, de 68 m de hauteur, d’un diamètre de 380 cm, d’un volume de fût de 140 m3, d’un poids de 100 t, la force tidale lunaire représente une traction puis relaxation journalière de 8 g seulement – le poids de deux morceaux de sucre!
Les variations du champ géomagnétique, faibles mais distinctes, d’une période d’un demi-jour lunaire (12 heures 25 minutes), dues aux marées gravimétriques, présentent une situation analogue.
Baillaud (2004) note à juste titre: «En matière lunaire, le sympathisant [ … ] souhaitera qu’on lui montre quel est le support du lien entre la Lune et l’être vivant et qu’on lui décortique l’enchaînement des phénomènes, ou au moins qu’on lui propose une hypothèse.»
Il paraît évident, comme cela a été mentionné à plusieurs reprises, que ce support n’est autre que l’élément essentiel pour tout processus organique: l’eau. C’est dans ce sens qu’allaient les conclusions de Piccardi (1962), confirmées par Eichmeier et Bûger (1969), et de Tromp (1972), comme l’avait souligné le célèbre philosophe et théoricien des sciences autrichien Paul Feyerabend dans Science in a Free Society (1978), jugeant aussi en fonction de ses compétences en mathématiques, physique et astronomie.
Déjà, dans les années 1920, des expériences avaient été faites sur les variations de la tension superficielle de l’eau au moyen de tubes capillaires en verre extrêmement fins (Maag, 1928). Elles avaient permis de montrer que des rythmicités lunaires (entre autres tidales journalières) apparaissent à partir d’un certain degré de finesse des capillaires. Entretemps, il fut constaté que le fait pour l’eau de se trouver dans des systèmes capillaires, en verre ou organiques comme les cellules végétales (avec leur cavité, mais aussi leur paroi finement poreuse), entraîne une importante modification de ses propriétés; elle peut ainsi rester liquide à des températures allant jusqu’à -15 °C (Sparks et al., 2000; voir aussi le chapitre 11, première partie). Il reste à analyser à nouveau l’effet du facteur temps sur ces propriétés essentielles de l’eau au moyen des technologies actuelles.
Une double publication récente en physique théorique due à Darda (2004), coauteur avec von Klitzing de la découverte de l’effet Hall quantique, couronnée du prix Nobel de physique 1985, propose un nouveau modèle astrogéophysique du rôle de la gravitation pour les processus vivants. Ce modèle intègre les aspects statiques et dynamiques de la gravitation en fonction du mouvement orbital des corps célestes, mène à une « quantisation » de la gravitation et du temps, et démontre un effet réversible, lié d’une part au Soleil et d’autre part à la Lune, sur la structure supramoléculaire de l’eau. Ainsi aboutit-il à la détermination d’états d’agrégation ou de cohérence (clusters) réversibles de l’eau, dans un rapport quantitatif d’ampleur considérable, de 1 à 2 200, selon qu’il s’agit de l’interaction Soleil-Terre ou de l’interaction Lune-Terre, cette dernière étant modulée au niveau du jour lunaire, mais également selon la phase croissante/décroissante. Darda considère que cette fluctuation rythmique de l’eau dans un système à 3 corps célestes constitue l’horloge recherchée jusqu’ici dans les structures organiques. Ce modèle fut validé de façon indépendante à l’aide des mesures expérimentales déjà publiées et interprétées dans ce sens par Cantiani et al. (1994), Zürcher et al. (1998).
Enfin, Vallée (2004) a mis au point une nouvelle méthode expérimentale permettant de prouver de façon reproductible que les champs électromagnétiques faibles et de basse fréquence ont un effet durable sur l’eau. Ce chercheur met l’accent sur l’importance des interfaces entre l’eau et ses inclusions solides ou gazeuses: un aspect essentiel, puisque l’eau interfaciale joue un rôle fondamental dans le monde organique.
Rossignol et al. (1998) soulignent le rôle des phénomènes électromagnétiques liés aux cycles lunaires (polarisation de la lumière, modula tian de la longueur d’onde, ionisation de l’atmosphère, pression atmosphérique) et considèrent un lien possible avec l’induction de potentiels bioélectriques au niveau cellulaire.
Pourtant, toutes ces découvertes et interprétations de niveau purement physique n’expliquent pas les différences observées entre certaines espèces végétales vivantes, annuelles ou ligneuses.
Parallèlement à ces hypothèses relevant de la recherche fondamentale, la prise en compte de la chronobiologie lunaire dans le travail de terrain avec les plantes ouvre des perspectives inattendues, quoique déjà suggérées par certaines pratiques traditionnelles :
- production et sélection végétale respectant la nature fondamentalement rythmique de chaque espèce, ce qui a déjà permis à Martin Schmidt de développer par exemple au cours des années 1944-1964 une nouvelle variété de seigle (Francke, 2001), aujourd’hui cultivée. La méthode tient compte, en plus des 1ythmicités, de l’emplacement des graines sur l’axe de l’épi, de façon analogue aux « phytopratiques » en régions tropicales (Aumeeruddy et Pinglo, 1989) ;
- reforestations de qualité supérieure, avec des plants robustes face aux maladies, issus de pépinières obtenant des taux élevés de germination, dans la perspective d’une «foresterie et agroforesterie du carbone» (Verchot et al., 2005) ;
- technologie du bois écologique et biocompatible, utilisant des bois résistant à la dégradation grâce à des abattages chronobiologiquement corrects, en cas de confirmation par des recherches sur le long terme ;
- pharmacologie végétale tirant un profit maximum des cycles d’efficacité des principes actifs.
Le fait de considérer le facteur temps comme une composante environnementale essentielle permet de développer des biotechnologies dans le vrai sens du terme, amenant les organismes, ici les plantes et leurs constituants spécifiques, à la pleine expression de leurs potentiels.
Voir aussi la conférence d’Ernst Zürcher « Influences lunaires et cosmiques sur la vie des plantes : voyage au cœur d’une controverse » donnée le 30 avril 2024 dans le cadre du Webinaire Recherche, Science & biodynamie.