La critique écologique radicale dans le contexte de l’entreprise en biodynamie

responsabilité sociale de l'entreprise

Biodynamie Recherche avait déjà publié le résumé ci-dessous en 2020 suite au travail de thèse réalisé par Claire-Isabelle Roquebert (HEC Lausanne, Suisse). Nous le mettons à nouveau en avant suite à l’approfondissement de ce travail pour la parution dans la revue internationale Organization (2022). Article en libre accès (anglais).

Ci-dessous le résumé de la thèse de Claire Isabelle Roquebert, soutenue le 14 novembre 2018, disponible en intégralité et en français dans les Archives Ouvertes HAL.

Depuis la fin du XXe siècle, la multiplication des scandales écologiques a entrainé l’essor des initiatives liées à la responsabilité sociale de l’entreprise (RSE). L’ambition portée par la RSE est révolutionnaire dans un contexte capitaliste, même l’entreprise le confirme : sa responsabilité n’est pas uniquement économique, elle est aussi écologique (et sociale) ! Pourtant, au-delà des discours, la RSE reste bien souvent cantonnée à un outil de gestion : gestion des risques, stratégies de communication et d’image, stratégies marketing. L’ambition de départ se concrétise souvent dans des actions annexes qui ne bouleversent pas le fonctionnement de l’entreprise : la priorité demeure l’accumulation du profit, conformément à la logique capitaliste. Qu’est-ce qui empêche fondamentalement le compromis économie – écologie de se stabiliser ? Pour répondre à cette question, nous avons étudié comment des entreprises fortement engagées envers la nature perçoivent et mettent en place la RSE. Nous avons interrogé les salariés et les dirigeants des Côteaux Nantais et de Body Nature, deux PME françaises engagées en Biodynamie (l’un des mouvements fondateurs de l’agriculture biologique), étude complétée par une analyse documentaire. Voici ce que nous avons trouvé comme réponses :

Fondamentalement, les tensions entre économie et écologie sont liées à la confrontation entre deux conceptions de la nature et de l’homme. Dans les pays occidentaux, l’homme est majoritairement considéré comme séparé de la nature et supérieur à elle. Du point de vue de l’entreprise, la nature est alors réduite à sa fonction de « ressource ». L’entreprise cherche à l’optimiser, à la gérer et à la standardiser (l’homme a aussi tendance à être considéré comme une « ressource » humaine). Pour cela, elle privilégie une organisation de type « fonctionnaliste », c’est-à-dire une structure pyramidale, optimisée par des procédés industriels et orientée vers une finalité économique et des enjeux de réputation. La RSE constitue alors une stratégie visant entre autres à protéger et prendre soin de la nature, conçue comme une entité séparée de l’homme, afin que les questions écologiques ne représentent pas un risque mais une opportunité pour la compétitivité de l’entreprise.

La biodynamie, comme d’autres mouvements écologiques, propose une autre façon de concevoir la nature et l’homme. Pour ses partisans, l’homme appartient à la nature, qui est un écosystème mettant en lien des entités vivantes. La nature est « vivante » donc variable. L’entreprise doit s’organiser de façon à s’adapter à ses variations, et donc inclure la singularité et la diversité des êtres vivants (dont l’homme), nécessaires à l’équilibre écologique. L’organisation de type « écologique » privilégie une structure systémique en réseau, non hiérarchisée, où la singularité de chacun oriente l’entreprise, où la stratégie est par conséquent évolutive. La RSE n’est alors pas une stratégie particulière de l’entreprise mais devient sa finalité et l’économique redevient un outil au service de cette finalité. L’entreprise « écologique » remet alors en question l’impératif de croissance (développement par essaimage) et les rapports concurrentiels (coopération et intelligence collective). Notre recherche présente les outils, les modalités d’organisation et les conditions d’émergence d’une telle entreprise. Ces deux modèles d’organisation, fonctionnaliste et écologique, peuvent être considérés comme deux idéaux-types, entre lesquels il existe une multitude d’organisations hybrides, souvent en tension.

Finalement, la question écologique n’est pas fondamentalement une question éthique, qui consisterait à se demander comment mieux respecter la nature. Elle est « ontologique » puisqu’elle interroge notre définition de la nature et de l’homme. L’anthropologue Philippe Descola a montré que la représentation occidentale de la nature n’est ni universelle ni la plus répandue. D’après cette recherche, la crise écologique actuelle serait le symptôme de la remise en question du dualisme nature-culture en Occident. Elle ne proviendrait pas simplement d’une indignation face à des scandales écologiques, mais elle naitrait aussi de l’expérience vécue d’une relation à la nature, où l’homme se reconnaît lui-même dans ce qui le fait homme : un être de la nature.

Claire-Isabelle Roquebert travaille à l’Université de Lausanne où elle mène une analyse historique du mouvement de la biodynamie en Suisse, afin d’analyser comment ses partisans critiquent et transforment les institutions, notamment le rapport à la scientificité.