Indicateurs de diversité microbienne fonctionnelle dans des sols de vignobles en conduite biologique et biodynamique

Résumé et synthèse d’un article de Bublitz et al. publié en avril 2025 dans Chemical and Biological Technologies in Agriculture volume 12. DOI : https://doi.org/10.1186/s40538-025-00766-2. Licence CC-BY-4.0.

Titre original : Microbial functional diversity indicators in vineyard soils under organic and biodynamic land management.

Résumé académique

Contexte

Une approche in situ en vignoble a été utilisée pour étudier les effets des préparations biodynamiques (BD) sur la diversité fonctionnelle microbienne et sur les substances polymériques extracellulaires (EPS) dans quatre vignobles conduits en agriculture biologique, dans des contextes pédologiques différents.

Méthodes

Le carbone organique du sol (COS), l’azote total, le carbone de la biomasse microbienne (CBM), la respiration induite par substrats multiples (RISM) avec 17 substrats et H₂O, les EPS et la protéine du sol apparentée à la glomaline (GRSP) ont été mesurés dans des sols prélevés en parcelles sans (BD−) et avec (BD+) préparations biodynamiques.

Résultats

Tous les paramètres ont montré un effet “vignoble” significatif lié aux types de sols ; et tous, sauf la GRSP et le rapport GRSP/EPS-prot, ont montré un effet des préparations BD. Le traitement BD+ a entraîné des augmentations significatives de CBM, du rapport CBM/COS, des glucides des EPS et de la réponse respiratoire pour la plupart des vignobles, mais une diminution significative des valeurs de qCO₂. Les hausses moyennes de COS, N total, CO₂-C, et du rapport EPS-glucides/EPS-protéines sous BD+, ainsi que les diminutions des EPS-protéines et des rapports EPS-glucides/CBM et EPS-protéines/CBM, n’étaient pas significatives lorsqu’on considère chaque vignoble séparément. La GRSP était négativement corrélée à la réponse respiratoire microbienne à l’ajout de tous les substrats.

Conclusions

Les effets “vignoble” sont étroitement liés au pH et à la texture des sols. Les augmentations observées en BD+ pour CBM, CBM/COS et les glucides des EPS, ainsi que la corrélation positive de ces derniers avec la réponse respiratoire, montrent une amélioration des propriétés chimiques et biologiques des sols pour la plupart des sites. Des rapports plus faibles EPS-glucides/CBM, EPS-protéines/CBM et des teneurs moindres en protéines des EPS indiquent que les microorganismes ont détourné moins d’énergie vers la formation d’EPS et davantage vers la biomasse microbienne. La GRSP et le rapport GRSP/EPS-prot n’ont pas montré de tendance interprétable. De futures investigations de la structure physique du sol pourraient être utiles pour étudier l’effet des préparations BD en viticulture.

Introduction

Les fonctions microbiennes du sol jouent un rôle essentiel dans le cycle des nutriments et la décomposition, et comprendre ces processus écosystémiques est central pour gérer efficacement des régimes agricoles spécifiques afin de maintenir la qualité des sols [1, 2]. Il est bien établi que la gestion des terres à long terme peut affecter les réservoirs de carbone organique du sol (COS) ; comprendre comment des stratégies de gestion particulières peuvent influencer les processus microbiens au sein de ces réservoirs peut aider à déterminer les stratégies qui favorisent une meilleure fertilité et structure du sol.

La qualité des apports de matière organique peut directement influencer la capacité de la communauté microbienne à métaboliser ces apports et à produire des « agents liants » tels que les substances polymériques extracellulaires (EPS) [3–5]. Les microorganismes peuvent se trouver enchevêtrés dans cette substance hydratée [6] qui protège cellules et enzymes, fournit une interface sûre pour la transformation des matières organiques et l’absorption de l’eau [7–9], assure une autoprotection contre des facteurs de stress environnementaux comme la sécheresse [10–12], et relie des communautés microbiennes entières aux agrégats du sol [13–15].

La protéine du sol apparentée à la glomaline (GRSP) constitue un autre agent liant, de fonctions similaires aux EPS, mais d’origine différente. La glomaline a été initialement décrite par Wright et Upadhyaya [16] comme produite par les champignons mycorhiziens arbusculaires (CMA), mais elle a été ultérieurement décrite comme une glycoprotéine du sol [17–20] et a donc été nommée GRSP. Il a été montré qu’elle contribue à la stabilité des agrégats du sol [21–23] et augmente la rétention d’eau au bénéfice des plantes, améliorant ainsi leurs performances, en particulier sous stress abiotiques [24, 25]. Les capacités d’agrégation de la GRSP seraient indirectement reliées à la stabilisation du carbone dans le sol [21–23] et à une augmentation des performances des cultures [24, 25].

En viticulture, l’amélioration des propriétés physiques et chimiques des sols — c’est-à-dire la stabilité des agrégats — revêt une importance particulière en raison de la sensibilité des vignobles à l’érosion [26, 27]. Par conséquent, des pratiques de gestion qui privilégient la qualité du sol via des approches durables (par exemple pour la formation d’humus), telles que les agricultures biologique et biodynamique, sont essentielles. Ces deux méthodes partagent des pratiques similaires — fertilisants organiques, composts, réduction du travail du sol, entre autres [28] — et reposent sur le principe de promouvoir la biodiversité, conduisant à une réduction de l’usage des engrais de synthèse, pesticides, variétés génétiquement modifiées, additifs pour l’alimentation animale et hormones de croissance [29–31].

L’agriculture biodynamique considère en outre l’utilisation de préparations naturelles (dites préparations biodynamiques, BD) appliquées au sol, aux cultures et au compost. La préparation BD 500P consiste en de la bouse fraîche stockée dans des cornes de vache et enterrées dans l’horizon de surface pendant six mois en hiver. La 500P inclut les six préparations BD de compost normalement utilisées pour le compostage biodynamique [32]. La préparation BD 501 est élaborée de la même façon que 500P, mais les cornes sont remplies de farine de silice et enterrées pour la même durée, mais en été. Les produits fermentés sont dilués dans l’eau et pulvérisés sur le sol et la canopée.

Des études antérieures ont montré que les préparations BD peuvent favoriser la formation d’agrégats [33], augmenter le stock de nutriments [34, 35] et relever le statut azoté de la communauté microbienne [36]. Plus récemment, il a été montré que les préparations BD peuvent agir comme des biofertilisants, augmentant l’abondance de microorganismes promoteurs de croissance des plantes [37]. Les préparations BD ont également été jugées capables de contrebalancer des stress environnementaux tels que la salinité et la sécheresse [38–40]. Il est bien documenté que l’application des préparations BD a un effet d’équilibrage sur la diversité fonctionnelle microbienne [36], mais des fonctions microbiennes complémentaires, telles que l’exsudation de résidus microbiens (EPS, GRSP), potentiellement liées à ces effets, restent à étudier. La capacité des microorganismes à exsuder EPS et GRSP peut être l’un des mécanismes impliqués dans leur utilisation des ressources. Les fonctions assurées par les EPS peuvent influencer directement la dynamique de l’eau dans la rhizosphère des plantes [41].

Les EPS et la GRSP sont, par conséquent, particulièrement importantes compte tenu de l’augmentation récente des épisodes de sécheresse en Bourgogne [42] et de la forte vulnérabilité de l’agriculture de pente en Europe face à la sécheresse [43]. Compte tenu des effets potentiellement bénéfiques des préparations BD sur le sol et sur les propriétés chimiques et microbiennes associées, la quantification des EPS et de la GRSP peut fournir des informations sur le fonctionnement des microorganismes sous de telles pratiques de gestion. Nous suggérons que la présence d’EPS et de GRSP dans les sols puisse être la cause sous-jacente des changements positifs précédemment rapportés dans la réponse respiratoire microbienne après application des préparations BD.

L’objectif du présent travail était d’analyser les effets de la conduite biodynamique sur la diversité fonctionnelle des microorganismes et de relier ces résultats à la production d’EPS et de GRSP dans les sols de quatre vignobles de Bourgogne (Prissé, Fleurie, Lavernette, Prés Culey). Les hypothèses sous-jacentes étaient : (1) l’application des préparations BD affecte positivement l’activité métabolique des microorganismes ; (2) les sols conduits en biodynamie présentent une production plus élevée d’EPS et de GRSP du fait de l’application des préparations BD, en relation positive avec l’activité métabolique mesurée.

Remarque : les sources [1] à [43] peuvent être consultées dans l’article original.

Matériels & Méthodes

  • Sites et échantillonnage : 4 vignobles en Bourgogne (~0,5 ha chacun), chaque site scindé en deux moitiés : BD− (sans préparations) vs BD+ (500P au sol 2×/an, 501 sur canopée 1–3×/an selon site). Démarrage BD : 2007 (Lavernette), 2016 (Fleurie, Prés Culey), 2018 (Prissé). Prélèvements d’octobre 2020 à 0–10 cm, 6 réplicats par parcelle.
  • RISM (MicroResp™) : 17 substrats à faible masse molaire + H₂O (BR), pré-incubation à 25 °C, calculs BR, CBM (via Glc-RISM), qCO₂ = BR/CBM.
  • EPS : extraction par résine échangeuse de cations (CER) en tampon PBS, quantification glucides et protéines.
  • GRSP : protocole EE-GRSP (citrate 20 mM, autoclave 121 °C, 30 min).
  • Analyses : ANOVA à deux facteurs (site, BD), post-hoc Holm-Sidak, corrélations de Pearson, analyse discriminante (DFA).

Synthèse des Résultats

Effets liés au vignoble

Les propriétés du sol varient fortement entre sites : le vignoble de Fleurie se distingue par un pH acide et une texture sableuse, tandis que ceux de Lavernette, Prissé et Prés Culey présentent des pH plus neutres à alcalins et davantage de limons/argiles. Il en résulte des COS et N total plus faibles à Fleurie, alors que Lavernette et Prés Culey forment un duo aux teneurs intermédiaires, avec Prissé souvent en tête pour l’activité microbienne. L’analyse discriminante basée sur la RISM sépare nettement Fleurie des trois autres. Les CBM les plus élevés se trouvent à Prissé et Lavernette ; le rapport CBM/COS est maximal dans ces deux sites (~3,1 %) et minimal à Fleurie et Prés Culey (~1,5 %). La respiration basale suit un gradient : Prissé > Lavernette > Prés Culey > Fleurie.

Les EPS-glucides et EPS-protéines sont étroitement corrélés au CBM et à la respiration basale ; ils culminent à Lavernette et sont les plus faibles à Fleurie. La GRSP, en revanche, est plus élevée à Fleurie et Prés Culey et plus faible à Prissé et Lavernette, et montre des corrélations négatives avec CBM et EPS.

Effets des préparations BD

Globalement, BD+ tend à rehausser COS, N total, CBM, la respiration basale, CBM/COS, ainsi que les EPS-glucides et le ratio EPS-glucides/EPS-protéines ; à l’inverse, les EPS-protéines et les ratios EPS-glucides/CBM et EPS-protéines/CBM diminuent, tandis que qCO₂ baisse (métabolisme plus efficient). Les réponses varient selon le site (interactions « site × BD »), avec un effet BD particulièrement marqué à Fleurie (site acide/sableux).

Discussion

Les quatre vignobles ne se ressemblent pas : leurs sols diffèrent par le pH (acide vs neutre/alcalin) et par la texture (sableuse vs plus riche en limons/argiles). Ces caractéristiques de base expliquent déjà beaucoup de choses. Dans les sols plutôt neutres et un peu argileux, la « vie du sol » est plus active : les microbes respirent davantage et transforment mieux la matière organique. À l’inverse, un sol acide et sableux comme à Fleurie est moins favorable à cette activité.

Les préparations biodynamiques 500P (bouse de corne préparée) et 501 (silice de corne) semblent favoriser la vie microbienne, mais l’intensité de cette stimulation dépend du type de sol. Globalement, on observe :

  • plus de biomasse microbienne (donc davantage de microbes vivants) ;
  • une respiration microbienne plus efficace (les microbes gaspillent moins d’énergie : le « qCO₂ » baisse) ;
  • davantage de « glucides d’EPS », c’est-à-dire la partie sucrée des substances collantes que les microbes sécrètent autour d’eux.

Un point intéressant : après application des préparations, les microbes semblent rediriger le carbone qu’ils consomment. Au lieu de le secréter sous forme d’EPS (substances qui agglutinent les particules du sol), ils en mettent un peu moins dans les EPS et davantage dans leur propre croissance. À court terme, cela augmente la biomasse microbienne ; à moyen terme, lorsque ces microbes meurent, cette biomasse devient de la « nécromasse » qui contribue au stock de matière organique du sol, donc à sa fertilité et à sa stabilité.

La protéine liée à la glomaline (GRSP), souvent associée aux champignons mycorhiziens, a montré une relation inverse avec l’activité respiratoire : plus il y a de GRSP, moins la respiration augmente. Ce n’est pas nécessairement « mauvais » : la GRSP est plutôt un composant stable de la structure du sol, moins « réactif » que les EPS. Cela suggère que, selon les contextes, les préparations biodynamiques stimulent surtout la partie la plus dynamique du système (microbes actifs et EPS glucidiques), sans modifier clairement la GRSP.

Enfin, tous les sols ne réagissent pas de la même manière. Les différences de minéralogie (présence d’argiles, pH) orientent la réponse : plus il y a de surfaces minérales fines et un pH proche de la neutralité, plus l’exsudation microbienne et la croissance sont facilitées. À Fleurie, justement plus acide et sableux, l’effet stimulant des préparations ressort le plus, ce qui laisse penser que ces pratiques peuvent compenser une partie des handicaps de départ.

Les préparations biodynamiques semblent donc rééquilibrer l’usage du carbone par les microbes au profit de la biomasse microbienne et d’une respiration plus efficiente, avec des effets modulés par la nature du sol.

Conclusion

L’approche utilisée pour mesurer l’activité microbienne a permis de distinguer nettement les parcelles avec préparations biodynamiques de celles qui n’en recevaient pas. Dans les parcelles traitées, les microorganismes ont orienté davantage de carbone vers leur propre croissance et un peu moins vers la fabrication des matrices collantes qui les entourent (EPS).

En pratique, cela se traduit par une respiration globalement plus efficace et par une dynamique microbienne plus favorable à la constitution, à terme, de matière organique dans le sol. La protéine liée à la glomaline (GRSP) montre, elle, une relation inverse avec l’intensité de la respiration, signe probable de son rôle plus « structurel » et moins réactif dans le sol. La plupart des substrats testés conduisent à des réponses similaires, à l’exception de la cystéine qui met en évidence un possible effet de la nutrition en soufre.

Dans l’ensemble, les préparations biodynamiques améliorent plusieurs propriétés biologiques et chimiques du sol, avec des effets qui dépendent du type de sol et semblent particulièrement utiles dans les contextes les plus contraignants. Pour consolider ces résultats, un examen plus poussé de la structure physique du sol (stabilité des agrégats, porosité) serait pertinent, en particulier pour des systèmes viticoles sensibles à l’érosion.

Liste des sigles et abréviations

  • BD : biodynamique (biodynamic)
  • BD− / BD+ : sans / avec préparations biodynamiques
  • COS : carbone organique du sol (SOC: soil organic carbon)
  • CBM : carbone de la biomasse microbienne (MBC: microbial biomass carbon)
  • RISM : respiration induite par substrats multiples (MSIR: multi-substrate induced respiration)
  • BR : respiration basale (basal respiration)
  • qCO₂ : quotient métabolique (metabolic quotient)
  • EPS : substances polymériques extracellulaires (extracellular polymeric substances)
    • EPS-glucides : fraction glucidique des EPS
    • EPS-protéines : fraction protéique des EPS
  • GRSP : protéine du sol apparentée à la glomaline (glomalin-related soil protein)
  • MOS : matière organique du sol (SOM: soil organic matter)
  • CMA : champignons mycorhiziens à arbuscules (AMF: arbuscular mycorrhizal fungi)
  • CRH : capacité de rétention en eau (WHC: water-holding capacity)
  • PBS : tampon phosphate salin (phosphate-buffered saline)
  • CER : résine échangeuse de cations (cation-exchange resin)
  • BSA : albumine sérique bovine (bovine serum albumin)
  • ANOVA : analyse de la variance (analysis of variance)
  • DFA : analyse discriminante (discriminant function analysis)